Décathlon, Vinted, Fnac: les grandes marques filent sur la seconde main
Longtemps marginale, associée à un choix de nécessité ou à un engagement militant, la consommation d’occasion s’impose désormais comme une véritable lame de fond dans l’économie française. Entre pressions écologiques, recherche d’économies et évolutions comportementales, les achats de seconde main bouleversent les modèles établis. En 2023, le marché hexagonal a généré 7 milliards d’euros, porté par une croissance annuelle de 12 %, confirmant une dynamique qui s’ancre autant dans le quotidien des consommateurs que dans les stratégies des grandes enseignes.
Face à la montée des prix et à une conscience environnementale croissante, le consommateur français redéfinit ses priorités. Et derrière cette mutation, c’est un changement structurel du commerce qui s’opère — bien au-delà de la simple tendance.
🤳🏽 Un marché structuré, alimenté par une adhésion massive des consommateurs
L’essor des plateformes numériques a joué un rôle de catalyseur dans la démocratisation de l’occasion. Des acteurs comme Vinted ou Leboncoin se sont imposés comme des géants incontournables. La première, fondée en Lituanie, compte aujourd’hui plus de 23 millions d’utilisateurs en France, à égalité avec le Royaume-Uni, faisant de l’Hexagone l’un de ses marchés clés. Leboncoin, lui, est passé de 10 à 66 millions d’annonces en seulement une décennie.
Cette dynamique repose sur une adoption massive par le grand public. Une étude de Publicis Média révèle que 59 % des Français achètent régulièrement en seconde main, et que 94 % prévoient de recommencer dans les mois à venir. Mieux encore, 81 % envisagent d’acheter autant voire davantage qu’auparavant.
Ce changement de paradigme s’exprime aussi dans les habitudes : “Je ne mets plus un pied dans un magasin depuis trois ans”, confie François, auditeur d’Estelle Midi sur l'antenne RMC, expliquant acheter exclusivement sur les plateformes. S’il reconnaît y trouver des prix plus justes, il évoque aussi un revers de la médaille : “Je suis tombé dans la surconsommation.” Une remarque révélatrice : l’accessibilité accrue aux produits d’occasion peut aussi entretenir des logiques d’achat impulsif.
♻️ Enseignes historiques à l’épreuve : mutation stratégique et enjeu écologique
La seconde main n’est plus le seul terrain des plateformes indépendantes. Désormais, des marques historiques comme IKEA, Fnac, Jules ou Decathlon investissent activement ce segment, conscientes de la nécessité d’adapter leur modèle. Cela marque une évolution profonde : ce qui relevait hier du circuit alternatif devient aujourd’hui un levier stratégique pour les enseignes traditionnelles.
Cette transformation est alimentée par des logiques économiques et environnementales. La crise du pouvoir d’achat agit comme un accélérateur, mais la réflexion va bien au-delà. “Réutiliser ce que l’on possède déjà est l’avenir d’un commerce durable”, affirme Périco Légasse, journaliste et critique gastronomique. Selon lui, l’occasion est la clé d’un modèle compatible avec les limites planétaires.
Emmanuelle Auriol, économiste à la Toulouse School of Economics et membre du Cercle des Économistes, souligne de son côté une “évolution vers plus de qualité que de quantité”, ce qu’elle juge bénéfique à long terme. Elle tempère néanmoins l’optimisme ambiant : “Toutes les enseignes ne sortiront pas gagnantes de cette mutation.” La vente physique, bien que concurrencée, garde toutefois une place à part. “L’expérience du magasin ne peut pas être totalement remplacée.”
Entre transition écologique, repositionnement commercial et arbitrages budgétaires, la seconde main est devenue un marqueur des tensions — mais aussi des innovations — qui façonnent la consommation contemporaine.
👁 L'œil de l'expert : la seconde main, le signe d’un capitalisme en mutation
Ce qui frappe dans cette révolution silencieuse, c’est moins l’ampleur des chiffres que la transformation des mentalités. La seconde main n’est plus un choix par défaut ; elle devient un choix de valeur. Elle incarne une résistance douce à la surproduction, tout en s’intégrant à des logiques de rentabilité. On achète d’occasion pour économiser, pour consommer autrement, mais aussi parfois... pour consommer plus.
Le défi, à l’avenir, sera d’éviter que cette dynamique ne reproduise les travers qu’elle prétend corriger. En effet, si elle devient un simple relais de la société de consommation — à bas coût — elle perdra sa portée transformative.
Pour les marques, le virage est stratégique. Elles ne peuvent plus ignorer que l’économie circulaire est devenue une attente sociale forte, autant qu’un nouveau standard économique. Adapter leur modèle, investir dans la durabilité, repenser la valeur du neuf : voilà les chantiers d’un commerce appelé à se réinventer.
À propos de l'auteur
Responsable du développement commercial au sein du Groupe Win'Up, Vanessa accompagne des entrepreneurs dans leur projet de création et participe au développement de la notoriété des enseignes du groupe. Sensible aux sujets économiques et financiers, Vanessa partage son avis sur les actualités.