Le duel Bouygues–Niel pour SFR, ou la bataille qui peut bouleverser le marché français
Un opérateur en chute libre, deux géants en embuscade : SFR, autrefois fer de lance des télécoms français, vacille. Et avec lui, l’empire télécoms de Patrick Drahi, plombé par une dette colossale. Face à cette impasse financière, l’heure est à la cession, et les acheteurs potentiels ne manquent pas. Bouygues Télécom et Iliad, dirigé par Xavier Niel, se tiennent prêts à dégainer, chacun avec sa stratégie, ses relais d’influence, et une ambition clairement assumée : prendre le contrôle d’un actif aussi stratégique que symbolique. Mais derrière cette joute industrielle, c’est une recomposition majeure du paysage télécoms qui se joue, avec des conséquences qui pourraient redessiner les équilibres du secteur en France et en Europe.
📉 SFR, un colosse aux pieds d’argile au cœur d’un bras de fer entre titans
Le constat est brutal : Altice, maison-mère de SFR, cumule près de 60 milliards d’euros de dette, dont 24 milliards pour sa branche française. À elle seule, SFR affiche un endettement de 15,5 milliards. Dans ces conditions, maintenir le statu quo est impossible. Patrick Drahi, qui détient encore 55 % du capital d’Altice France, n’a d’autre choix que de vendre pour préserver ce qu’il peut. La vente de SFR pourrait rapporter jusqu’à 5 milliards d’euros, selon les projections internes, à condition que la compétition entre prétendants fasse grimper les enchères.
Et cette dynamique est bien enclenchée. Martin Bouygues, toujours en quête de la taille critique pour rivaliser pleinement avec Orange, voit dans cette opération une occasion de se hisser au rang d’alternative crédible. Racheter SFR serait un levier pour consolider son réseau, ses parts de marché, et son pouvoir de négociation, notamment dans la 5G et les infrastructures.
En face, Xavier Niel, déjà fortement implanté à l’échelle européenne avec Iliad, envisage une tout autre trajectoire. Intégrer SFR lui permettrait de solidifier sa base française tout en renforçant son poids politique à Bruxelles. En fonction du scénario retenu, c’est l’Autorité de la concurrence française qui interviendrait pour Bouygues, tandis que le dossier Niel serait traité à l’échelle européenne, soulignant la dimension transfrontalière de sa stratégie. Deux visions, deux arènes, une même ambition : dominer.
🎯 Une aubaine pour Drahi, un avenir incertain pour SFR
Pour Patrick Drahi, cette situation constitue un point d’inflexion. Longtemps figure centrale des télécoms, il s’oriente désormais vers un désengagement progressif. Et dans ce chaos financier, il perçoit une fenêtre de tir exceptionnelle : deux groupes puissants en compétition, une entreprise à vendre, et des enchères potentiellement explosives. « Ce n’est pas juste une cession, c’est un changement d’ère », souligne La Lettre de l’Expansion, qui confirme que les tractations ont déjà commencé en coulisses.
Sur le plan tactique, chaque camp affûte ses armes. Bouygues est accompagné des cabinets Rothschild et Darrois & Savoie, tandis que Perella Weinberg conseillerait Iliad. Même Orange, bien que discret, suit le dossier via Evercore. Et dans l’ombre, des opérateurs étrangers comme Etisalat ou STC, ainsi que plusieurs fonds d’investissement, restent à l’affût de la moindre ouverture.
SFR, bien qu’en difficulté avec une baisse notable de ses revenus et de ses abonnés en 2024, conserve une valeur stratégique majeure. Un réseau national, une base client solide et des infrastructures critiques : autant d’actifs qui en font une proie de choix. C’est pourquoi une vente à la découpe semble peu probable, face à deux géants qui n’ont aucun intérêt à se partager les miettes. Si rachat il y a, ce sera pour une prise de contrôle totale et décisive.
👁️ L’œil de l’expert : une transaction aux effets systémiques
Ce duel Bouygues–Niel autour de SFR ne se résume pas à une simple acquisition. Il incarne un tournant stratégique pour le secteur des télécoms, en France comme en Europe. La dette abyssale d’Altice rend la vente inévitable, mais c’est bien la redéfinition du rapport de force entre opérateurs qui se dessine à travers cette bataille.
Si Bouygues l’emporte, l’Hexagone pourrait voir émerger un duopole Orange–Bouygues, avec une concurrence resserrée mais plus équilibrée. Si c’est Iliad, c’est l’Europe qui deviendrait son nouveau terrain de jeu, avec un opérateur aux ambitions transnationales consolidées.
Dans tous les cas, cette transaction devra franchir des obstacles réglementaires complexes, et satisfaire à des exigences en matière de pluralité et de concurrence. Mais une chose est sûre : la vente de SFR ne sera pas neutre, ni pour les consommateurs, ni pour les acteurs du marché.
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