Marché du jus de fruits : l’hémorragie économique d’un secteur autrefois florissant
Une industrie pressée à sec ? La filière française des jus de fruits traverse une crise structurelle inquiétante. Entre désamour des consommateurs, stigmatisation nutritionnelle et hausses de prix, le marché, autrefois emblématique du petit-déjeuner hexagonal, voit ses volumes s’effondrer. En 2024, les ventes ont chuté sous le milliard de litres, un seuil symbolique révélateur d’un déclin profond. Derrière ces chiffres, ce sont des enjeux économiques majeurs qui se dessinent pour une filière qui emploie près de 30 000 personnes et dont le chiffre d’affaires a chuté de 4 % en un an. Décryptage d’un naufrage industriel et commercial.
📊 Une dégringolade structurelle aux racines multiples
Entre 2014 et 2024, les ventes de jus de fruits en France ont plongé de 28 %, une chute jugée « vertigineuse » par l’Union interprofessionnelle des jus de fruits (Unijus). En seulement cinq ans, la baisse atteint 20 %, et en 2024, le marché recule encore de 8,9 %.
Le jus d’orange a perdu 45 % de ses volumes en dix ans
alerte Aurore Bescond, secrétaire générale d’Unijus. Le repli est tel que la consommation annuelle par habitant est passée de plus de 20 litres à moins de 15 litres. Cette décroissance ne s’explique pas uniquement par l’envolée des prix (+28 % en deux ans), même si l’inflation joue un rôle. Selon Aurore Bescond, « les jus restent quatre fois moins chers que les jus maison », pointant du doigt la pression des distributeurs, accusés de réduire les rayons dédiés en grandes surfaces. La désaffection du petit-déjeuner, notamment chez les jeunes actifs, et l’explosion des alternatives moins naturelles – sodas, boissons énergisantes ou aromatisées à moins de 10 % de fruits – ont aussi modifié profondément les habitudes de consommation.
Malgré tout, le jus de pomme résiste, avec une croissance de 15 % sur dix ans, alors que les multifruits (21,6 % du marché) et les bifruits (6,8 %) accusent une baisse continue. Le jus d’orange, pourtant leader avec 35,9 %, recule encore, marquant un tournant historique pour ce produit autrefois incontournable.
🍹 Nutrition, réglementation et perception : un cocktail explosif pour la filière
La bataille ne se joue pas uniquement sur les linéaires, mais aussi dans l’arène nutritionnelle. Les producteurs dénoncent la classification des jus dans le Nutri-Score en catégorie C, aux côtés de boissons ultra-transformées notées D ou E. « C’est une lecture diabolisante sous le seul prisme du sucre », s’insurge Aurore Bescond. Pour Unijus, cette image brouillée nuit gravement à un produit qui, bien que sucré naturellement, reste un vecteur important de vitamines, potassium et fibres solubles, à condition d’opter pour des purs jus.
Mais cette défense ne convainc pas tout le monde. « L’avantage sera toujours au fruit entier », tranche David Jacobi, professeur de nutrition au CHU de Nantes. Selon lui, un petit verre de 10 cl de jus d’orange représente déjà deux morceaux de sucre :
Cinq verres dans la journée, et vous avez dépassé la limite quotidienne recommandée.
Il insiste aussi sur la perte en fibres, antioxydants et nutriments lorsque la pulpe est absente ou que les jus sont filtrés.
L’exclusion des jus de fruits du Programme national nutrition santé 2019-2023 (PNNS) – qui promeut « cinq fruits et légumes par jour » – a été vécue comme un camouflet par la profession. Unijus plaide désormais pour « la création d’une catégorie de boissons nutritionnelles naturelles » dans le futur PNNS 2025-2030. L’enjeu ? Distinguer clairement les jus de fruits des « calories vides » issues des sodas et autres boissons sucrées industrielles.
👁️ L’œil de l’expert : entre choix politique et reconquête stratégique
La situation du marché des jus de fruits ne se résume pas à une simple affaire de goût. Elle révèle les tensions croissantes entre perception nutritionnelle, pouvoir d’achat, et transformation des usages alimentaires. Le secteur est confronté à un défi double : réhabiliter l’image du jus face à un discours public hygiéniste dominant, tout en préservant un modèle économique encore fragile. La reconquête passera autant par l’innovation que par un repositionnement stratégique, en insistant sur l’origine, la qualité, et les vertus naturelles des produits. Car à l’heure où l’économie alimentaire se réinvente, chaque gorgée compte.
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