Une nouvelle ère industrielle pour l’armement européen. L’Allemagne franchit un nouveau cap stratégique dans sa réindustrialisation militaire. Le groupe Rheinmetall a inauguré à Unterlüß (Basse-Saxe) une usine colossale de munitions, capable de produire jusqu’à 350.000 obus d’artillerie par an d’ici 2027. Ce projet, financé à hauteur de 500 millions d’euros et générant 500 emplois, est décrit par son président-directeur général, Armin Papperger, comme « une infrastructure à la fois vitale pour Rheinmetall, pour l’Allemagne et pour l’Europe ».
L’événement s’est déroulé en présence du vice-chancelier Lars Klingbeil, du ministre de la Défense Boris Pistorius et du secrétaire général de l’OTAN Mark Rutte, symbole de la dimension géopolitique de cette montée en puissance. Cette usine, construite en seulement quinze mois, est amenée à devenir la plus grande unité de production de munitions d’Europe – voire du monde, selon Papperger.
🏭 Capacités et commandes records
Le site devrait produire dès cette année 25.000 obus de 155 mm, avant de multiplier sa capacité par quatorze en trois ans. Les chaînes tourneront en priorité pour répondre à la commande historique de la Bundeswehr, évaluée à 8,5 milliards d’euros, annoncée à l’été 2024. Une partie de cette production sera également redirigée vers l’Ukraine, soulignant l’articulation étroite entre stratégie industrielle et soutien militaire aux alliés.
Outre les munitions d’artillerie, l’usine produira dès 2026 des moteurs de fusées. Elle complète ainsi un site déjà spécialisé dans les obus de 120 mm pour chars Leopard 2, massivement utilisés sur le front ukrainien. Ce virage industriel illustre la volonté de Berlin d’assurer sa souveraineté en matière d’armement lourd, tout en sécurisant ses chaînes d’approvisionnement face à la pression des conflits.
🌐 Diversification et ambitions mondiales
Rheinmetall ne se limite pas à la production de munitions. Le conglomérat a progressivement transformé son modèle pour devenir un acteur transversal de la défense :
Blindés et véhicules militaires déjà produits en masse.
Satellites militaires, via un partenariat avec la société finlandaise Iceye Space.
Coopérations transatlantiques, notamment avec Lockheed Martin pour des pièces du F-35.
Drones et missiles, en codéveloppement avec l’Américain Anduril.
Armin Papperger a également révélé des négociations dans le secteur naval et sous-marin, affirmant :
Nous sommes capables de créer une grande entreprise sur ce volet
laissant entrevoir une expansion vers la défense maritime dans les prochains mois.
👁 L’œil de l’expert : un tournant historique
Depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022, Berlin a rompu avec des décennies de sous-investissement militaire. Les dépenses de défense ont bondi de 28 % en 2024, atteignant 88,5 milliards de dollars, plaçant l’Allemagne au 4ᵉ rang mondial derrière les États-Unis, la Chine et la Russie, selon le Sipri. L’objectif affiché est encore plus ambitieux : 3,5 % du PIB d’ici 2029, soit plus du triple du niveau pré-guerre.
L’analyse économique révèle une double dynamique :
Relance industrielle, avec la création d’emplois et d’investissements massifs dans des secteurs de pointe.
Réorganisation budgétaire, où la défense devient un pilier central de la politique économique allemande, au détriment potentiel d’autres priorités sociales.
Si ce pari réussit, l’Allemagne pourrait disposer, selon les mots du chancelier Scholz, de « l’armée conventionnelle la plus puissante d’Europe ». Mais cette trajectoire soulève aussi la question du coût à long terme pour les finances publiques et la dépendance d’une partie de l’économie à l’industrie de l’armement.
L’usine Rheinmetall incarne là un tournant industriel et stratégique pour l’Allemagne, entre impératif de souveraineté, soutien à l’Ukraine et montée en puissance militaire. Une évolution qui redessine non seulement le paysage de la défense en Europe, mais aussi l’équilibre budgétaire et industriel du pays.