La France confirme son statut de pays où l’épargne des ménages atteint des niveaux records. Avec un taux d’épargne à 18,9 % au printemps 2025, largement supérieur à la moyenne européenne, les foyers continuent de privilégier la sécurité financière au détriment de la consommation. Derrière ce comportement se cachent à la fois la mémoire des crises passées, la crainte de l’avenir fiscal et l’attrait renouvelé des placements rémunérateurs. Une prudence qui, si elle rassure les ménages, freine toutefois la dynamique économique nationale.
🪙 Les Moteurs de la Thésaurisation
Depuis la pandémie de 2020, le taux d’épargne n’a jamais retrouvé son niveau pré-Covid, oscillant auparavant autour de 15 %. Aujourd’hui, il dépasse durablement les 17 % et a même franchi le cap des 18,9 % au deuxième trimestre 2025. Un comportement qui s’explique par une série de chocs successifs : pandémie, guerre en Ukraine, flambée inflationniste, tensions géopolitiques et instabilité politique intérieure.
Comme le souligne Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’Épargne :
Les ménages français font preuve d’une prudence structurelle, nourrie par la succession de crises.
Résultat : l’équipement du logement, les biens durables ou les projets coûteux sont reportés, malgré une inflation retombée à 2,4 %. La mémoire de la perte de pouvoir d’achat entre 2021 et 2023 continue de hanter les foyers, renforçant un réflexe d’épargne de précaution.
Cette dynamique n’est pas neutre : en privilégiant l’accumulation d’épargne, les ménages brident mécaniquement la consommation, qui constitue pourtant le principal moteur de la croissance française.
💶 Les nouveaux catalyseurs de l’épargne
Au-delà des crises conjoncturelles, des facteurs structurels accentuent ce mouvement. Le vieillissement démographique encourage la constitution d’une épargne retraite, via l’assurance vie et le Plan d’épargne retraite (PER).
Les plus de 50 ans sont les principaux contributeurs à cette hausse, car ils réinvestissent massivement les revenus de leurs placements
explique Hélène Baudchon, économiste chez BNP Paribas. La crainte d’une pression fiscale accrue joue aussi un rôle. Avec un déficit public supérieur à 5 % du PIB et l’annonce par François Bayrou d’une réforme fiscale majeure en 2026, de nombreux foyers préfèrent se constituer un matelas de sécurité. Selon Patrick Artus (Natixis), « les ménages ne relâcheront pas leur effort d’épargne tant que les perspectives fiscales et économiques resteront incertaines ».
Enfin, l’environnement financier favorise cette prudence. Le Livret A, rémunéré à 3 % jusqu’à janvier 2025, a attiré plus de 20 milliards d’euros supplémentaires de dépôts en quelques mois. La remontée des taux d’intérêt depuis 2023 rend l’épargne liquide particulièrement attractive par rapport à la consommation ou à l’investissement risqué.
Comparée à ses voisins européens, la France se distingue : l’Allemagne et les Pays-Bas plafonnent à 15 %, l’Italie à 11 % et l’Espagne à 9 %. Cette sur-épargne est une force pour le financement de l’économie, mais elle reste insuffisamment orientée vers l’investissement productif. Comme le résume Philippe Crevel :
Le paradoxe français, c’est que l’épargne est abondante mais trop peu canalisée vers la croissance réelle.
👁 L’œil de l’expert : trop prudents
La prudence des ménages est devenue une nouvelle normalité en France. Si elle constitue une protection individuelle face aux incertitudes, elle traduit aussi un frein collectif pour l’économie. En réduisant la consommation et en orientant peu de capitaux vers l’investissement productif, cette stratégie pèse sur la croissance et l’emploi.
L’enjeu pour les années à venir sera double : restaurer la confiance des ménages en clarifiant les trajectoires fiscales et budgétaires, tout en incitant l’épargne à se tourner vers l’économie réelle plutôt que de rester dormante sur des produits liquides. Sans ce rééquilibrage, la France restera durablement un pays de rentiers prudents plutôt qu’un moteur d’investissement et de dynamisme économique.