Le paysage médiatique français connaît une recomposition accélérée. Le 12 septembre 2025, le groupe CMA CGM, dirigé par le milliardaire Rodolphe Saadé, a finalisé le rachat du média vidéo en ligne Brut, une plateforme à forte audience, notamment auprès des jeunes. Cette acquisition s’inscrit dans une stratégie offensive où l’armateur marseillais transforme progressivement sa filiale CMA Media en acteur majeur et transversal, présent de la presse écrite aux chaînes de télévision, en passant désormais par les réseaux sociaux.
Dans un communiqué, la filiale a résumé l’ambition : « Avec cette opération, CMA Media devient un acteur incontournable du paysage médiatique français, s’adressant à tous les publics et couvrant l’ensemble des canaux : presse régionale et nationale, télévision, radio et réseaux sociaux. »
📈 Un pôle au service de la croissance
L’intégration de Brut marque une étape décisive pour CMA Media. Comme l’a souligné l’entreprise dans son communiqué, cette opération aboutit à la création d’un troisième pilier stratégique, consacré aux réseaux sociaux, qui complète les branches presse et audiovisuel. Avec plus de 1 600 journalistes, le groupe revendique désormais la deuxième plus grande rédaction de France, et la première dans le secteur privé.
Brut, rentable depuis fin 2023 après plusieurs restructurations, compte environ 250 salariés et met en avant son efficacité auprès des annonceurs grâce à des indicateurs précis : nombre de vues, interactions, temps passé par vidéo, avec un ancrage fort sur les jeunes audiences. Comme le souligne Elsa Darquier, directrice générale de Brut maintenue à son poste, la force de la marque repose sur « sa capacité à toucher des générations qui consomment l’information exclusivement en ligne ».
Ce mouvement illustre une stratégie plus large : CMA Media veut s’imposer sur tous les canaux, en capitalisant sur des audiences diversifiées et en renforçant son attractivité auprès des investisseurs publicitaires.
📰 Rodolphe Saadé, architecte d’un empire médiatique
L’acquisition de Brut ne constitue pas une exception, mais s’ajoute à une longue série de rachats qui redessinent la carte des médias français. Depuis 2022, Rodolphe Saadé a mis la main sur La Provence et Corse Matin, pris une participation dans M6, puis pris le contrôle de La Tribune avant de lancer La Tribune Dimanche.
À l’été 2024, son groupe a frappé un grand coup en reprenant à Altice BFMTV, RMC et les chaînes RMC Story et RMC Découverte. Dans la foulée, un autre dossier a été ouvert : le rachat de Chérie 25 auprès du groupe NRJ.
CMA Media devient un acteur global, capable de rivaliser avec les groupes historiques comme Vivendi ou Bouygues
résume Claire Léost, ex-Prisma Media, désormais directrice générale de CMA Media et présidente de Brut.
Cette stratégie répond à une double logique : diversifier les actifs de CMA CGM, dépendants du transport maritime, et renforcer l’influence de Rodolphe Saadé dans les sphères économiques et politiques via le contrôle d’organes médiatiques majeurs.
👁️ L’œil de l’expert
L’offensive de Rodolphe Saadé traduit une mutation profonde du capitalisme médiatique français : l’entrée d’un industriel du transport dans un secteur historiquement dominé par des groupes audiovisuels et de presse. En construisant un portefeuille équilibré entre médias traditionnels et plateformes numériques, CMA Media sécurise des relais de croissance mais accroît aussi son pouvoir d’influence.
Si cette diversification permet de compenser la volatilité du secteur maritime, elle soulève des questions sur la concentration des médias et sur l’indépendance éditoriale dans un contexte de fortes pressions économiques et politiques. À terme, le groupe CMA CGM pourrait devenir un contrepoids aux géants de l’audiovisuel français, mais cette montée en puissance exigera un équilibre délicat entre rentabilité financière et crédibilité journalistique.