La mode française traverse une zone de turbulences sans précédent. Après la disparition de Camaïeu, Kookaï ou San Marina, c’est désormais Pimkie, icône du prêt-à-porter depuis 1971, qui tente de survivre en s’alliant au mastodonte chinois Shein. Cette décision, officialisée cette semaine, suscite un vif débat : faut-il y voir une stratégie de relance ou le signe alarmant d’un déclin structurel du textile français ? Entre pertes d’emplois, fermetures de magasins et offensive commerciale des plateformes asiatiques, les enjeux économiques et financiers sont colossaux.
📉 Fermetures en cascade et fragilité économique
Le constat est implacable : en 2024, la vague de fermetures dans le prêt-à-porter milieu de gamme s’est accélérée. Pimkie, qui compte encore près de 200 magasins et plus de 700 salariés, a subi deux plans sociaux et une procédure de sauvegarde. Son entrée dans le programme « Shein Xcelerator » marque un tournant stratégique, puisque la marque française mise désormais sur une visibilité mondiale dans 160 pays grâce à la plateforme chinoise.
Mais cette stratégie a un coût symbolique.
Le choix de Pimkie d’ouvrir ses portes à Shein est un signal inacceptable
déplore l’Alliance du Commerce, qui accuse Shein de ne pas respecter les règles auxquelles les enseignes françaises sont soumises (normes sociales, environnementales, fiscales). De son côté, Mario Jorge Machado, président d’Euratex, met en garde :
Cela montre à quel point nos entreprises sont faibles. Elles ne sont pas en bonne position pour négocier leur survie.
La pression concurrentielle est telle que les chiffres donnent le vertige : 4,5 milliards de colis issus de Shein, Temu et AliExpress ont inondé l’Union européenne en 2024. Cette surconsommation entraîne une explosion des déchets textiles, une baisse des marges pour les acteurs locaux et alimente un cercle vicieux de fragilisation économique.
🇪🇺 Offensives asiatiques et riposte européenne
L’essor fulgurant des plateformes de fast-fashion s’explique par des moyens financiers démesurés. Rien qu’en 2023, Shein a investi 43,8 millions d’euros en publicité en France, contre 27,5 millions pour Temu, des budgets colossaux face aux ressources limitées des enseignes hexagonales.
Face à cette asymétrie, plusieurs pays européens – dont la France, l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne – ont uni leurs forces dans une lettre ouverte à la Commission européenne. Objectif : instaurer un cadre plus strict pour freiner l’expansion des géants asiatiques accusés de concurrence déloyale, pollution massive et non-respect des normes sociales.
Lors du salon Première Vision à Paris, la ministre Agnès Pannier-Runacher a dénoncé un rapport de force biaisé : « L’écart abyssal entre les moyens financiers de ces plateformes et les capacités de nos enseignes fragilise tout un écosystème ». En toile de fond, c’est bien la pérennité du savoir-faire textile français et européen qui se joue.
👁 L’œil de l’expert
Le cas Pimkie illustre une vérité économique brutale : sans adaptation structurelle, sans régulation européenne efficace et sans stratégie de montée en gamme, une partie du prêt-à-porter français risque de disparaître. L’alliance avec Shein peut offrir un sursis commercial, mais elle souligne surtout la dépendance grandissante des marques nationales aux géants asiatiques. Dans ce bras de fer économique, c’est l’équilibre entre compétitivité, souveraineté industrielle et justice sociale qui est en jeu.