Alors que Flunch vient d’expérimenter à Lille un concept inédit de restauration sans caisse, le débat sur l’avenir des commerces autonomes reprend de plus belle. Derrière la promesse technologique se cachent des enjeux économiques lourds : coûts d’investissement, viabilité commerciale, résistances sociales et potentiels nouveaux relais de croissance. Mais la question demeure : ces modèles peuvent-ils s’imposer face aux supérettes traditionnelles qui, elles, reposent sur des bases déjà rentables et éprouvées ?
🎲 Pari risqué pour les grandes enseignes
Avec son nouveau concept Fa!m, Flunch déploie un magasin bardé de caméras et reposant sur la technologie « Just Walk Out » d’Amazon. Le client se sert, scanne sa carte bancaire en sortie, et repart sans passage en caisse. Un gain de temps indéniable, mais qui soulève de sérieuses interrogations.
D’abord, la technologie est coûteuse à mettre en place. Philippe Goetzmann, consultant spécialisé dans la distribution, rappelle :
Les grandes enseignes comme Leclerc, Carrefour ou Auchan n’ont pas intérêt à investir dans un modèle qui créerait une concurrence interne à leurs propres magasins (RMC Conso)
En clair, pour un groupe déjà positionné sur les supérettes urbaines, développer des boutiques sans caisse revient à cannibaliser son propre marché tout en augmentant ses frais fixes.
L’exemple d’Amazon Go, contraint de fermer plusieurs magasins au Royaume-Uni faute de fréquentation suffisante, illustre le risque d’un modèle qui séduit plus les ingénieurs que les clients. Frank Rosenthal, expert en retail, souligne :
On peut se demander où est la valeur ajoutée réelle par rapport à une supérette classique. Le temps gagné reste marginal, et la relation humaine compte encore beaucoup.
Enfin, se pose la question sociale. Une automatisation trop rapide ouvrirait un front syndical sur la suppression d’emplois, un enjeu que les géants de la distribution préfèrent éviter dans un contexte déjà marqué par de fortes tensions sociales.
🏪 Ces supérettes API qui séduisent la ruralité
À l’opposé de ces expérimentations high-tech, la start-up API déploie un modèle beaucoup plus pragmatique et… rentable. Ses épiceries autonomes, implantées dans des communes de moins de 2.000 habitants, fonctionnent sans personnel permanent mais offrent jusqu’à 700 références à prix compétitifs. Le client scanne un QR Code pour entrer, se sert, puis règle en caisse libre-service.
La formule, simple et peu coûteuse, répond à une vraie demande. Trois ans après son lancement, API compte déjà 120 magasins et vise les 250 d’ici 2026, couvrant de nouvelles régions comme les Hauts-de-France ou l’Auvergne-Rhône-Alpes. Chaque employé, surnommé « apicier », supervise deux ou trois points de vente, optimisant au maximum les coûts d’exploitation.
Comme le note Frank Rosenthal :
API comble les vides là où les grands distributeurs ne veulent pas aller. Ils offrent une solution concrète à des territoires abandonnés par les enseignes traditionnelles.
Cette stratégie de « niche » dans la ruralité contraste fortement avec l’obsession des mastodontes du secteur pour les centres-villes. Le succès d’API démontre que l’autonomie en commerce de proximité peut fonctionner économiquement, à condition de s’ancrer dans un besoin réel et non de chercher à « réinventer » artificiellement l’expérience client.
👁️ L’œil de l’expert
Le modèle des magasins autonomes restera difficile à généraliser en centre-ville : coûts élevés, adoption client incertaine, impact social délicat à gérer. En revanche, leur avenir pourrait se jouer ailleurs : dans les zones rurales, où API fait figure de pionnier rentable, mais aussi dans des lieux à forte affluence comme les stades ou les aéroports, où l’automatisation fluidifie la gestion des flux.
L’équation est claire : ce n’est pas la technologie qui dictera l’avenir de la distribution, mais la capacité à répondre à un besoin économique précis. Et pour l’instant, la ruralité semble offrir un terrain plus fertile que les grandes métropoles.