Le constructeur automobile français est au cœur d’une polémique : sollicité par le ministère des Armées pour contribuer à la fabrication de drones destinés aux forces ukrainiennes, Renault Group doit arbitrer entre opportunité économique et risque d’image. Entre pressions politiques, attentes des salariés et enjeux stratégiques, la décision du groupe suscite un débat intense sur la frontière entre industrie civile et militaire.
📊 Une diversification rentable, mais risquée
Sollicité dès juin par l’ex-ministre des Armées Sébastien Lecornu, Renault a été approché pour s’associer à EOS Technologie, une PME française spécialisée dans la défense, dans la conception de drones kamikazes. L’annonce, révélée par Capital, a immédiatement provoqué un malaise interne et une vague de cyberattaques que beaucoup attribuent à des acteurs russes.
Dans une note interne consultée par l’AFP, Renault confirme être en discussion avec la Direction générale de l’armement (DGA). Le document précise que ces projets restent exploratoires et qu’aucune décision définitive n’a encore été actée. Toutefois, la direction reconnaît avoir mené une « analyse approfondie » des avantages et inconvénients.
Parmi les points favorables, le constructeur identifie « une opportunité économique rentable », susceptible d’offrir un complément d’activité sur ses sites français. Mais les risques sont tout aussi tangibles : multiplication des cyberattaques, atteinte à l’image de marque et défiance des salariés. Comme le rappelle Philippe Goetzmann, expert du secteur industriel :
La diversification peut créer de la valeur à court terme, mais elle expose à une érosion de capital confiance, notamment dans une marque associée à la mobilité civile.
Autrement dit, si la perspective financière peut séduire, la contrepartie en termes de réputation pourrait s’avérer plus coûteuse.
⚖️ Un débat qui divise chez Renault
La polémique ne se limite pas aux équilibres financiers : elle secoue également les fondations sociales du groupe. Certains salariés s’interrogent déjà sur la légitimité de fabriquer des armes de guerre dans une entreprise historiquement dédiée à l’automobile. Selon des échanges internes cités par BFMTV, des collaborateurs ont même demandé s’ils pouvaient « refuser une telle mission ».
Les syndicats affichent des positions contrastées. Pour Force Ouvrière, l’armement pourrait constituer « une réponse » si l’activité automobile ne décolle pas dans les prochaines années. À l’inverse, la CFDT insiste sur la nécessité de préserver « l’emploi en France, les valeurs de l’entreprise et celles des salariés ».
Le groupe, prudent, martèle qu’il ne souhaite pas devenir un acteur majeur de la défense mais se limite à proposer son « expertise industrielle ». En clair : Renault ne veut pas être perçu comme un nouvel Airbus Defense, mais plutôt comme un sous-traitant ponctuel, capable de sécuriser une nouvelle ligne de revenus sans bouleverser son ADN.
Cette ligne de crête est d’autant plus délicate que la question est éminemment politique. L’État français, actionnaire influent dans la filière industrielle, pousse à renforcer l’autonomie stratégique de l’Europe face à la guerre en Ukraine. Mais Renault, coté en Bourse, doit aussi ménager ses investisseurs, ses clients… et ses salariés.
👁️ L’œil de l’expert : un cap décisif
Le dossier Renault-défense illustre un dilemme classique : saisir une opportunité de diversification lucrative ou préserver l’identité d’une marque mondiale. Si l’intégration à l’armement offrirait un relais de croissance dans un contexte automobile incertain, elle expose le constructeur à des risques réputationnels, sociaux et géopolitiques difficiles à maîtriser.
Pour l’heure, le groupe adopte une stratégie d’attentisme. Mais si la pression politique s’accroît et que le marché automobile peine à redécoller, Renault pourrait bien franchir un cap décisif. La vraie question est simple : l’entreprise saura-t-elle transformer ce projet en levier économique… sans sacrifier la confiance de ses salariés et de ses clients ?