Face à l’effondrement progressif de sa production sidérurgique, l’Union européenne sort les grands moyens. Le mardi 7 octobre 2025, la Commission européenne a annoncé un durcissement sans précédent de ses règles commerciales sur l’acier : quotas d’importation divisés par deux et droits de douane doublés, passant de 25 % à 50 %. Objectif : protéger un secteur clé menacé par la surproduction chinoise et restaurer la souveraineté industrielle européenne.
Selon Bruxelles, la production d’acier sur le continent ne tourne plus qu’à 70 % de ses capacités, contre plus de 90 % avant la crise énergétique de 2021 — une chute qui illustre la perte de compétitivité d’une filière stratégique.
🇪🇺 L’UE verrouille son marché pour relancer sa sidérurgie
Sous pression de ses industriels, l’Europe opte pour une politique commerciale plus offensive. Les quotas d’importation d’acier sont désormais réduits de 45 %, et tout dépassement sera frappé d’un droit additionnel de 50 % dès le premier trimestre 2026.
D’après un rapport interne de la Commission, cette réforme vise à “freiner les importations opportunistes” venues de Chine, de Turquie ou d’Inde, tout en adaptant les volumes aux besoins réels de chaque État membre.
En parallèle, le système de gestion électronique des quotas sera modernisé : une clause d’alerte automatique permettra de bloquer les flux excessifs. Fini aussi les anciens plafonds de 2019 : le nouveau dispositif s’aligne sur la moyenne des importations 2012–2015, jugée plus représentative d’un marché équilibré.
Cette décision marque un tournant politique : même l’Allemagne, longtemps réticente à ériger des barrières commerciales, a soutenu la mesure.
Pour Stéphane Séjourné, commissaire à l’Industrie, il s’agit d’un « acte de souveraineté industrielle » et non d’un réflexe protectionniste. « Ce n’est pas du protectionnisme idéologique, mais de la réciprocité économique », a-t-il affirmé devant le Parlement européen.
Derrière cette fermeté se cache aussi une ambition environnementale. L’Europe veut financer sa transition vers un acier bas carbone, alors que les projets de fours électriques et unités à hydrogène vert peinent à décoller face à la concurrence d’un acier asiatique produit au charbon, vendu jusqu’à 30 % moins cher.
Bruxelles espère ainsi sécuriser 35 milliards d’euros d’investissements d’ici 2030 pour une sidérurgie propre et compétitive.
🏭 Un équilibre économique délicat
Pour les sidérurgistes européens, ce renforcement des barrières douanières est vécu comme une planche de salut.
Le PDG d’ArcelorMittal Europe a rappelé que les importations avaient bondi de 30 % en un an, provoquant une chute des prix intérieurs de 15 % :
Nous étions au bord de la fermeture de plusieurs hauts-fourneaux
a-t-il confié à BFMTV. Selon les syndicats, cette politique pourrait préserver près de 25 000 emplois directs et indirects sur des sites comme Dunkerque, Liège ou Tarente.
Mais le revers de la médaille est déjà visible. Les acheteurs industriels – notamment dans l’automobile, la construction ou la mécanique – redoutent un renchérissement de 5 à 10 % du coût de l’acier et des délais d’approvisionnement plus longs.
Bruxelles tente de prévenir ces effets secondaires : le Fonds européen pour une transition verte mobilisera 4 milliards d’euros d’aides pour compenser les surcoûts et soutenir les PME exposées.
Ce protectionnisme assumé s’inscrit aussi dans un contexte géopolitique tendu. Depuis juin, les États-Unis imposent eux aussi 50 % de droits de douane sur l’acier chinois. Sans réaction de l’Europe, une partie de ces flux aurait été redirigée vers le Vieux Continent, accentuant la crise.
La Chine, déjà irritée, a menacé de porter plainte devant l’OMC, tandis que le Royaume-Uni envisage d’adopter des mesures similaires pour éviter un afflux d’acier à bas prix sur son territoire.
👁️ L’œil de l’expert
Ce retour au protectionnisme industriel illustre un basculement stratégique majeur en Europe. Après des années de libre-échange assumé, Bruxelles reconnaît désormais la nécessité d’une autonomie économique face à la guerre commerciale mondiale et à la transition énergétique.
La décision sur l’acier est une expérimentation grandeur nature : si elle réussit, elle pourrait servir de modèle à d’autres secteurs stratégiques (batteries, semi-conducteurs, énergie verte).
Mais la vigilance reste de mise. Car protéger ne suffit pas : il faut transformer. Sans gains de productivité ni innovation technologique, le bouclier européen pourrait devenir un mur coûteux, freinant la compétitivité des entreprises.
En somme, Bruxelles mise sur une Europe du fer et du vert, capable de résister aux tempêtes commerciales sans perdre son âme industrielle.