Symbole du savoir-faire laitier hexagonal, le camembert Président règne sans partage sur les étals français en 2025. Avec plus de 16 millions d’unités écoulées sur les six premiers mois de l’année, il s’impose comme le fromage le plus vendu en France, devant tous ses concurrents. Derrière cette réussite commerciale se cache Lactalis, le géant mayennais de l’agroalimentaire, numéro un mondial des produits laitiers. Pourtant, derrière cette suprématie, une subtilité interroge : le roi des fromages ne vient pas de Normandie… RTL nous aide à mieux comprendre
🏭 Un empire construit sur l’uniformité et la puissance
Le succès du camembert Président s’inscrit dans une logique industrielle maîtrisée depuis près de six décennies. L’histoire commence en 1968, quand Michel Beignet, alors patron de la laiterie éponyme, cherche un nom fédérateur pour son produit. L’idée du mot “Président” s’impose à lui :
La France est le pays des présidents, chacun l’est d’une association, d’un club ou d’une amicale
expliquait-il à ses équipes. Ce nom, porteur d’un imaginaire collectif fort, allait devenir une marque mondiale.
Aujourd’hui, Président ne se limite plus à son camembert emblématique. La marque décline son identité sur le beurre Président, le brie Président ou encore le coulommiers Président, avec un succès identique. L’ensemble appartient à Lactalis, basé à Laval (Mayenne), un groupe qui réalise plus de 28 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel et distribue ses produits dans 150 pays.
Ce modèle repose sur un atout clé : la standardisation. Là où le fromage artisanal varie selon la saison, la température ou le lait, le camembert Président garantit une qualité constante. Produit avec du lait pasteurisé, il est fabriqué en millions d’exemplaires à l’identique, sans “surprise gustative”. Cette régularité, très rare dans les années 1970, a permis à la marque de conquérir la grande distribution et d’imposer sa signature dans les foyers français.
👑 Un roi sans couronne régionale
Derrière le succès se cache une vérité moins connue du grand public : le camembert Président n’a pas le droit d’utiliser l’appellation “Camembert de Normandie”. Bien que produit dans l’Orne, au cœur de la région normande, il ne répond pas aux critères de l’Appellation d’Origine Protégée (AOP).
En cause : son procédé de fabrication à base de lait pasteurisé, incompatible avec le lait cru exigé par l’AOP Camembert de Normandie.
Sur ses emballages, la mention “fabriqué dans l’Orne” remplace donc la référence à la Normandie, un mot désormais strictement protégé par la réglementation européenne. “Même président, aussi puissant soit-il, ne peut s’arroger le nom de Normandie”, ironise un industriel du secteur.
Ce paradoxe illustre les tensions économiques entre tradition et industrie : d’un côté, les producteurs artisanaux défendent un modèle fondé sur la typicité et le terroir ; de l’autre, Lactalis capitalise sur la force de frappe industrielle et marketing de sa marque phare, capable d’assurer une distribution de masse tout en maintenant une rentabilité élevée.
👁️ L’œil de l’expert
Le cas du camembert Président illustre parfaitement le nouvel équilibre entre authenticité et performance industrielle dans l’agroalimentaire français.
D’un point de vue économique, Lactalis a transformé un produit patrimonial en succès global, démontrant que la puissance logistique et la cohérence de marque peuvent rivaliser avec la tradition.
Mais à l’heure où les consommateurs recherchent davantage de traçabilité et de naturalité, cette domination pourrait être fragilisée par le retour en grâce des fromages AOP au lait cru, plus artisanaux et porteurs d’une image d’authenticité.
Le “roi” des fromages conserve donc sa couronne, mais devra, à terme, conjuguer volume industriel et valeur patrimoniale pour rester le symbole du goût français.
