C’est un virage majeur pour deux acteurs emblématiques de la distribution française. Le groupe Grand Frais, spécialiste de l’alimentaire premium, a confirmé son intention de reprendre entre 25 et 30 magasins Gifi. Derrière cette transaction, prévue courant 2026, se dessine une double logique : accélérer l’expansion du réseau Grand Frais tout en offrant un bol d’air financier à Gifi, plombé par la dette et la concurrence féroce du discount.
🏬 Grand Frais muscle son réseau
Pour Grand Frais, cette acquisition s’inscrit dans une stratégie d’expansion maîtrisée mais ambitieuse. L’entreprise, fondée en 1997 et dotée aujourd’hui de 335 points de vente, vise une implantation plus large sur le territoire. Le président de Grand Frais Gestion, Jean-Paul Mochet, assume cette stratégie de croissance externe :
Ce n’est pas une course aux mètres carrés, mais une opportunité de consolider notre maillage territorial
a-t-il déclaré à l’AFP. Les magasins Gifi ciblés sont principalement situés en périphérie urbaine, au cœur de zones commerciales dynamiques, avec des surfaces proches du modèle Grand Frais.
Cette acquisition marquerait une première opération de croissance externe pour l’enseigne, qui ouvre habituellement une vingtaine de nouveaux magasins par an. Selon les estimations de Kantar, le chiffre d’affaires de Grand Frais oscillerait entre 4,5 et 5 milliards d’euros, confirmant son poids croissant dans la grande distribution française.
Derrière cette expansion, le groupe cherche aussi à diversifier ses relais financiers : la maison-mère Prosol, pôle fruits, légumes, poissonnerie et crémerie, suscite actuellement l’intérêt de fonds d’investissement anglo-saxons (Clayton Dubilier & Rice, Apollo et Cinven), signe d’un appétit financier fort autour de l’écosystème Grand Frais.
⚠️ Gifi, entre survie et restructuration
Face à Grand Frais, Gifi vit une période délicate. L’enseigne de décoration et d’articles ménagers à petits prix subit de plein fouet la pression des géants du discount (Action, Maxibazar) et la concurrence du e-commerce (notamment Temu).
Le groupe, qui revendiquait encore 6 800 salariés et 620 points de vente en 2024 pour 1,2 milliard d’euros de chiffre d’affaires, perdrait aujourd’hui près d’un million d’euros par jour, selon une source proche du dossier.
Après un rééchelonnement de sa dette et un plan de soutien bancaire obtenu début 2025, l’entreprise cherche désespérément des liquidités.
Quand on commence à vendre les bijoux de famille, c’est que ça ne va pas
déplore Laurent Mardaga, délégué CFDT du siège de Villeneuve-sur-Lot.
Cette cession partielle de magasins doit donc renflouer temporairement la trésorerie. Mais le redressement ne sera durable que si la stratégie commerciale repart de l’avant. Le nouveau président du directoire, Christophe Mistou (ex-Mr. Bricolage), présentera d’ailleurs un nouveau plan d’organisation lors du prochain comité social et économique (CSE).
Le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), suspendu en juillet, reste sur la table. Officiellement mis en pause, il s’accompagne déjà de départs volontaires non remplacés, signe d’un PSE « silencieux », selon les syndicats.
👁️ L’œil de l’expert : redistribution des cartes
Cette alliance illustre la recomposition rapide du secteur de la distribution.
Grand Frais consolide son modèle haut de gamme et capitalise sur la demande pour les produits frais et locaux, un segment à forte valeur ajoutée.
Gifi, en revanche, subit la fragilisation structurelle du retail non alimentaire, entre pression inflationniste, baisse du pouvoir d’achat et digitalisation accélérée.
Derrière cette opération, c’est tout un écosystème économique qui se redéfinit : l’un investit pour grandir, l’autre vend pour survivre. Le défi majeur ? Concilier maintien de l’emploi et attractivité économique, dans un marché où la taille ne garantit plus la rentabilité.