Alors que le marché immobilier français montre enfin des signes de redressement, les artisans du bâtiment restent englués dans une conjoncture morose. Selon les chiffres de la Capeb (Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment), l’activité du secteur a encore reculé de 3,5 % au troisième trimestre 2025, confirmant une tendance préoccupante.
Malgré la stabilisation des taux d’intérêt immobiliers et la reprise des ventes dans l’ancien (+9 %), les entreprises artisanales ne voient pas la couleur de cette embellie. Entre marchés gelés, trésoreries exsangues et emplois en péril, la filière peine à bénéficier de la relance du crédit et de la construction.
📉 Une reprise immobilière sans effet d’entraînement
Le paradoxe est saisissant : le marché de la pierre repart, mais les chantiers stagnent. D’après la Capeb, les activités d’entretien et de rénovation, traditionnellement le moteur du secteur, reculent encore de 1,5 %. Même la rénovation énergétique, pourtant soutenue par de multiples dispositifs publics, reste atone.
C’est le grand paradoxe actuel : les banques recommencent à prêter, les gens achètent et personne ne fait de travaux
déplore Jean-Christophe Repon, président de la Capeb. Pour lui, le malaise est avant tout psychologique : « On est toujours dans l’attentisme. Le particulier ne s’engage pas. »
Le constat est brutal : le secteur du neuf, plus exposé aux aléas économiques et réglementaires, demeure le plus touché. En un an, 24 083 emplois ont disparu dans l’artisanat du bâtiment, soit près de 40 000 suppressions cumulées sur 2024 et 2025.
Les pertes d’emplois frappent toutes les spécialités : la menuiserie-serrurerie accuse une chute de 4,5 %, la maçonnerie de 4 %. Une véritable saignée pour un tissu d’entreprises souvent familiales, déjà fragilisé par l’envolée des coûts des matériaux et la hausse des délais de paiement.
Les travaux sont revus à la baisse, les clients tardent à régler leurs factures, et nos trésoreries craquent
alerte Sylvie Montout, directrice économique de la Capeb. Près d’une entreprise sur cinq se dit aujourd’hui en besoin urgent de financement, un signal d’alerte pour la santé financière du secteur.
🧩 L’instabilité politique et réglementaire paralysante
Si les indicateurs macroéconomiques du marché immobilier s’améliorent, les artisans peinent à en tirer profit. D’après Romane Charpentier, économiste de la Capeb, « les signaux positifs ne se traduisent pas encore nettement en activité ».
Les autorisations de logements (365 200 sur un an) progressent de 7 %, et les mises en chantier de 3,1 %, mais ces volumes restent nettement inférieurs aux moyennes historiques : -14 % et -23 % respectivement.
Seul point de lumière : les carnets de commandes s’étoffent timidement, atteignant 74 jours d’activité garantie, un niveau en légère hausse pour la première fois depuis 2022. Toutefois, les disparités sont fortes : les plus grandes structures s’en sortent, tandis que les plus petites peinent à suivre.
Face à cette fragilité persistante, Jean-Christophe Repon pointe du doigt la responsabilité de l’État :
Nos propositions ont toujours été validées mais jamais traduites en arrêtés ou en lois
regrette-t-il, accusant le gouvernement d’immobilisme. Selon lui, les incertitudes politiques et réglementaires – notamment autour des aides à la rénovation et des normes environnementales – freinent les décisions d’investissement. Résultat : les entreprises restent bloquées entre la hausse des coûts, la volatilité de la demande et un cadre réglementaire jugé instable.
👁️ L’œil de l’expert
L’artisanat du bâtiment traverse une zone grise : le marché immobilier redémarre, mais la transmission de cette dynamique à la filière reste incomplète. Ce décalage illustre un problème structurel de synchronisation économique entre financement, demande et production.
Les experts s’accordent sur un point : si les politiques publiques ne se traduisent pas rapidement en mesures concrètes, la reprise restera inégalitaire et concentrée sur les acteurs les mieux capitalisés.
Pour l’instant, les signaux de reprise n’effacent pas les risques : trésoreries sous tension, recul de l’emploi, et concurrence accrue dans le secteur de la rénovation énergétique.
En clair, la stabilisation du crédit et la hausse des ventes immobilières ne suffisent pas encore à réamorcer la machine du bâtiment, un secteur pourtant essentiel à la croissance française et à la transition énergétique.





