Une mutation économique majeure dans l’ombre de l’économie légale. Le marché français des drogues illicites connaît une transformation spectaculaire, portée par une dynamique financière sans précédent. Selon une étude relayée par l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), la cocaïne est devenue en 2023 la première source de revenus du trafic en France métropolitaine, devant le cannabis pourtant bien plus consommé. Les professeurs Christian Ben Lakhdar et Sophie Massin (Université de Lille), auteurs de cette analyse, estiment que « le cannabis et la cocaïne génèrent à eux seuls environ 90 % du total du chiffre d’affaires des drogues illicites en 2023 ». Cette poussée fulgurante redessine en profondeur les flux financiers criminels, met sous pression les forces de sécurité, et interroge les politiques publiques de lutte contre les stupéfiants. Derrière les chiffres, c’est une économie parallèle qui se structure, s’industrialise et s’étend.
📈 La cocaïne détrône le cannabis en valeur
Une croissance du marché qui dépasse toutes les projections – L’étude estime à 6,8 milliards d’euros le chiffre d’affaires global du marché des drogues en France métropolitaine en 2023 — soit près du triple de 2010 (2,3 milliards). Les auteurs rappellent que ces estimations sont comprises entre un plancher de 3,8 milliards et un plafond de 9,7 milliards, signe d’un marché tentaculaire et difficile à mesurer. La donnée la plus marquante reste l’ascension spectaculaire de la cocaïne en passant de 902 millions d’euros en 2010, à 3,1 milliards d’euros en 2023.
Elle devance désormais clairement le cannabis, évalué à 2,7 milliards d’euros, malgré une consommation bien plus élevée en volume.
Une explosion des quantités disponibles et un accès facilité – Entre 2010 et 2023, la consommation de cocaïne est passée de 15 tonnes à 47,1 tonnes, révélant une disponibilité accrue de cette substance sur tout le territoire. Les chercheurs expliquent que l’évolution du « ratio prix-pureté » rend le produit « de plus en plus bon marché et donc accessible au plus grand nombre ».
En parallèle, le cannabis conserve son statut de premier marché en volume, passant de 224,5 tonnes consommées en 2010 à 397,4 tonnes en 2023. Mais sa valeur économique progresse moins vite que celle de la cocaïne, dont la marge et la rentabilité grimpent à un rythme nettement supérieur.
🔥 Vers une nouvelle géographie du crime
Une pression croissante sur l’État et les territoires – Le Dr Nicolas Prisse, président de la Mildeca, repris dans le communiqué de presse, rappelle que « la spectaculaire progression du marché de la cocaïne […] met à l’épreuve les forces de sécurité, la Justice, les professionnels santé et tous nos territoires ». Cette économie parallèle ultra-rentable entraîne mécaniquement une intensification des violences liées aux réseaux, mais encore une professionnalisation du trafic, un accroissement des tensions dans les quartiers touchés par le deal, et enfin une montée du blanchiment d’argent, notamment via commerces de façade et circuits financiers opaques.
Les marges colossales de la cocaïne renforcent mécaniquement les réseaux criminels, leur capacité d’organisation et leur pouvoir d’attraction.
La montée des psychostimulants : un marché complémentaire en hypercroissance – Au-delà de la cocaïne, l’étude révèle une poussée spectaculaire des autres psychostimulants, avec notamment l’ecstasy / MDMA ou encore les amphétamines.
Quelques chiffres clés :
Consommation de MDMA en 2023 : 65,6 millions de comprimés (contre 11,3 millions en 2010).
Hausse du chiffre d’affaires de la MDMA : +637 % en treize ans — la plus forte progression parmi toutes les drogues étudiées.
Cette diversification accroît la complexité du marché, multiplie les sources de profits et élargit la base de consommateurs, notamment chez les jeunes adultes.
👁️ L’œil de l’expert
Les données de l’OFDT illustrent un phénomène désormais structurel : la France fait face à une industrialisation du trafic, soutenue par des marges croissantes, une logistique internationalisée et une demande toujours plus large. Le basculement de la cocaïne en tête du marché en valeur n’est pas anecdotique : il traduit la montée en gamme du crime organisé, capable de répondre à une demande en forte progression.
Les autorités devront renforcer simultanément leurs moyens policiers, leurs outils financiers contre le blanchiment, et leurs stratégies de prévention. Comme le souligne le Dr Prisse, seule une action coordonnée sur l’offre et la demande pourra freiner cette dynamique.
En 2023, le marché des drogues n’est plus seulement un enjeu sécuritaire : c’est une réalité économique majeure, un secteur clandestin pesant plusieurs milliards, dont l’essor façonne déjà les équilibres sociaux et financiers du pays.
