Économie, commerce et tensions diplomatiques : derrière les grandes annonces d’un « accord historique » entre l’Union européenne et les États-Unis, la réalité du texte révèle un empilement de malentendus, d’intentions non contraignantes et d’interprétations contradictoires. Focus sur les dessous d’un pacte transatlantique qui sème plus de doutes que de certitudes.
🌀 Investissements européens aux USA: le mirage à 600 milliards
Présenté comme un pilier de l’accord par Washington, l’engagement de l’Union européenne à investir 600 milliards de dollars outre-Atlantique d’ici à 2028 a été largement salué par Donald Trump, qui parle du « plus grand deal jamais conclu ». Pourtant, la réalité semble toute autre.
Selon la Maison-Blanche, il s’agirait d’un nouvel afflux d’investissements venant s’ajouter aux « 100 milliards annuels déjà injectés par les entreprises européennes ». Mais pour Bruxelles, ce montant relève d’une pure projection politique. La Commission européenne a rappelé, par la voix d’un haut fonctionnaire, qu’elle « ne peut s’engager au nom des entreprises privées », comme l’a souligné l’eurodéputé Tomislav Sokol (PPE) :
La Commission n’a pas mandat pour influencer les décisions d’investissement des sociétés.
Ces 600 milliards ne figurent dans aucun engagement juridique, ni dans les accords formels publiés. Ils relèvent d’intentions potentielles du secteur privé et non de décisions politiques fermes.
🛢 750 milliards de dollars d’énergie américaine : une promesse intenable
Autre point fort du discours américain : la vente de Gaz Naturel Liquéfié (GNL), pétrole et produits nucléaires à l’Europe pour un montant cumulé de 750 milliards de dollars d’ici à 2028. Là encore, Washington affirme un engagement, tandis que Bruxelles tempère avec prudence.
En réalité, la Commission a précisé que l’UE « entend se procurer » ces ressources, sans garantie ni obligation d’achat. Comme le rappelle un porte-parole européen, la Commission ne peut pas imposer aux États membres leurs fournisseurs énergétiques :
Ce sont des décisions commerciales prises librement par les entreprises.
L’économiste Phuc-Vinh Nguyen (Institut Jacques-Delors), interrogé par La Tribune, estime que cet objectif est tout simplement « infaisable », compte tenu des contrats énergétiques existants avec d’autres pays.
🛡️ Armement : du fantasme politique à la réalité réglementaire
Donald Trump a assuré que l’accord prévoyait l’acquisition massive d’armement américain par l’Europe. Pourtant, aucun article de l’accord ne fait mention de livraisons militaires, ni de chiffres précis sur les volumes ou les montants.
En Europe, la défense reste strictement une compétence nationale. La Commission ne peut légalement pas engager l’UE à l’achat d’équipements militaires. Un responsable européen a d’ailleurs tranché :
L’armement ne fait tout simplement pas partie de cet accord.
La conséquence ne s’est pas fait attendre : les marchés ont sanctionné les valeurs européennes de la défense, anticipant une potentielle déperdition vers l’industrie américaine. Renk a chuté de 5 %, Thales de 4 % en une journée.
🏗️ L’acier et l’aluminium hors accord
L’acier et l’aluminium, pourtant secteurs sensibles, restent soumis à un régime de taxation élevé à 50 %, hors du taux plancher de 15 % promis pour d’autres produits européens.
L’UE évoque un dispositif de quotas tarifaires historiques, visant à réduire partiellement les taxes pour les volumes conformes. Tout dépassement serait surtaxé. Cependant, ce mécanisme est totalement absent des documents américains.
La Maison-Blanche évoque uniquement de « larges quotas » pour certains produits non spécifiés, sans mention explicite des métaux industriels. Pire, ces quotas ne s’appliqueraient qu’aux exportations américaines vers l’Europe, laissant en suspens la situation des exportateurs européens.
📡 Télécoms et numérique : bras de fer sur les redevances
L’un des sujets les plus techniques concerne la régulation numérique. Washington assure que Bruxelles renonce à imposer des frais d’utilisation des réseaux, ce qui réjouirait les géants du streaming comme Netflix ou Amazon Prime.
Mais Olof Gill, porte-parole commerce de la Commission, a fermement contredit cette interprétation :
L’UE conserve pleinement son droit de réguler son marché numérique.
Ce désaccord fait écho à un débat brûlant sur la contribution des plateformes américaines au financement des infrastructures européennes, revendication portée par de nombreux opérateurs télécoms européens. Ce flou règlementaire risque de retarder une normalisation des échanges numériques transatlantiques.
👁 L’œil de l’expert : un accord avant tout politique
En conclusion, l’accord transatlantique dévoilé en grande pompe est, à ce stade, une déclaration d’intentions, bien plus qu’un contrat économique solide. Derrière les effets d’annonce, l’absence d’engagements contraignants, la divergence des interprétations et les compétences limitées de la Commission sur les volets privés fragilisent sa crédibilité.
Comme le résume brillamment l’économiste Diane Swonk (KPMG) :
Il n’est pas étonnant de voir autant de flou compte tenu de l’ampleur des incertitudes.
Résultat : ni les marchés ni les observateurs n’ont été véritablement convaincus. Plus qu’un traité économique, ce texte semble d’abord avoir servi à éviter une crise commerciale imminente à la veille du 1er août. Mais pour construire une vraie stratégie transatlantique, il faudra bien plus qu’un effet d’annonce.