Figure emblématique du rugby tricolore, André Herrero s’est éteint à l’âge de 87 ans, laissant derrière lui bien plus qu’un palmarès. Avec lui, c’est une page entière du sport français qui se tourne. Ancien joueur du RC Toulon et du XV de France, entraîneur, président puis manager des Bleus, André Herrero a incarné pendant plus d’un demi-siècle la fusion rare entre passion, leadership et stratégie.
🏈 Un héritage au-delà du terrain
C’était une âme, une voix, une parole forte et libre
confiait Hubert Falco, maire de Toulon, en hommage à celui que beaucoup surnommaient « Le Grand Dédé ». Né dans une famille d’origine espagnole installée dans le Sud, André Herrero grandit dans un environnement façonné par le ballon ovale. Ses frères Bernard et Daniel porteront eux aussi les couleurs du RCT, mais c’est André, avec sa carrure imposante – 1,88 m pour 96 kg – et son tempérament volcanique, qui en deviendra le symbole.
Dès les années 1960, il incarne une génération rugueuse et sincère, celle d’un rugby d’honneur et d’instinct. Ses coéquipiers le décrivent comme un « guerrier fou », un homme de terrain capable de galvaniser tout un pack. Rapidement, il s’impose comme le pilier d’un Toulon conquérant et passionné. En 1963, il décroche sa première sélection avec le XV de France, face à la Roumanie, avant de marquer durablement les esprits lors d’un match légendaire contre le Pays de Galles, deux ans plus tard. Ce jour-là, Herrero inscrit un essai spectaculaire, qualifié par le commentateur Roger Couderc de « plus bel essai du monde ». Une séquence qui reste gravée dans la mémoire collective et qui résume parfaitement le style d’un homme tout en puissance et en panache.
🟥⬛️ La construction d’un empire rouge et noir
Mais la carrière d’André Herrero ne se limite pas à ses exploits de joueur. Très tôt, il comprend que le rugby n’est pas seulement une affaire de sport, mais aussi de structure, de gouvernance et d’économie. En 1967, il devient capitaine et entraîneur-joueur du RCT. L’année suivante, il dispute la finale du championnat de France contre Lourdes, malgré deux côtes cassées.
Ce match a forgé la légende du RCT et celle d’Herrero
souligne le club dans un communiqué. Sa ténacité, sa capacité à jouer dans la douleur et son sens du collectif forgent un modèle de leadership encore cité dans les écoles de management sportif.
Sous sa présidence, en 1992, Toulon décroche enfin le titre national, un aboutissement attendu depuis des décennies. « Ce jour-là, c’est toute une ville qui a gagné », écrivait La Tribune. Au-delà du sport, André Herrero a compris l’importance de transformer un club en marque, de bâtir une identité qui dépasse le terrain. Le RCT devient alors un actif économique et émotionnel. Son influence attire sponsors, partenaires et investisseurs locaux, contribuant à dynamiser l’économie varoise.
Dans les années 1990, André Herrero élargit encore son rôle en devenant manager du XV de France. Avec les Bleus, il remporte le Tournoi des Cinq Nations en 1993, avant de démissionner trois ans plus tard, en désaccord avec les joueurs grévistes à l’aube du professionnalisme. « Un homme d’honneur, allergique aux compromis », rappellera le RCT dans un hommage. Ce refus du calcul et des concessions symbolise sa conception éthique du sport : exigeante, droite, et profondément humaine.
🏆 Un héritage patrimonial et économique
Ce qui distingue André Herrero, c’est qu’il a su inscrire son héritage dans le temps long. Lorsqu’il revient à Toulon dans les années 1980 pour en devenir manager, il amorce une véritable mutation économique : celle d’un club structuré, soutenu par un modèle de gestion proche de celui d’une entreprise. Sous son impulsion, le RCT consolide ses revenus, diversifie ses activités et renforce sa visibilité nationale. Son aura attire les médias, les sponsors et, plus largement, les acteurs économiques régionaux.
En avril 2023, son intronisation au Hall of Fame du club vient consacrer cette œuvre monumentale. « André Herrero, c’était Toulon, c’était le rugby français », résume Jo Maso, ancien international. Pour beaucoup, il demeure un repère moral et économique : l’homme qui a prouvé qu’un club pouvait être à la fois une aventure humaine et un modèle de gouvernance.
👁️ L’œil de l’expert : un modèle de sport-économie
La trajectoire d’André Herrero illustre l’évolution du sport français vers un modèle de gestion professionnelle. En transformant le RC Toulon en institution économique, il a anticipé les mutations actuelles du secteur : la recherche de rentabilité, la valorisation du patrimoine immatériel, la construction d’une identité de marque.
Dans un contexte où les clubs doivent concilier performance et viabilité financière, l’héritage d’Herrero apparaît comme un cas d’école. Il a démontré que la réussite d’une équipe passe autant par le talent de ses joueurs que par la solidité de sa structure économique.
À l’heure où le rugby s’industrialise et se mondialise, la leçon de monsieur Herrero reste d’une actualité brûlante : le sport n’a de sens que lorsqu’il préserve son âme tout en assurant sa pérennité. En cela, « Le Grand » demeure non seulement une légende du rugby, mais aussi un précurseur du sport moderne.





