La cession de commerces, longtemps considérée comme une étape naturelle de la vie entrepreneuriale, se heurte aujourd’hui à un mur. En France, malgré des entreprises viables et parfois prospères, les propriétaires désireux de passer la main peinent à trouver des repreneurs motivés. Le phénomène s’est amplifié depuis une décennie, avec une chute marquée des transactions. Cette crise silencieuse met en lumière un paradoxe : alors que les commerces sont au cœur du tissu économique local, leur transmission devient une équation de plus en plus insoluble, mêlant contraintes financières, sociales et générationnelles.
🤝 Marché des cessions en chute libre
La transmission des commerces de proximité traverse une crise silencieuse mais profonde. En dix ans, le volume des transactions a chuté de 43 800 à 31 703, soit une baisse de près de 30 %. Derrière ces chiffres se cachent des entrepreneurs épuisés, qui souhaitent tourner la page mais se heurtent à un mur : l’absence de repreneurs.
L’exemple de Manon Bertrand, gérante du Salon Manon, illustre ce blocage. Malgré une clientèle fidèle et un prix de vente fixé à 80 000 €, elle n’a reçu qu’un appel en un an.
Je pensais que ça serait plus simple. Et finalement, ça prend plus de temps que prévu
confie-t-elle à Franceinfo. En quête d’une nouvelle carrière dans le coaching sportif, elle se retrouve coincée entre deux vies professionnelles, incapable d’avancer. Pour tenter de rendre son offre plus attractive, Manon envisage des facilités de paiement et même un accompagnement de son successeur pendant un an. Une stratégie révélatrice d’un marché déséquilibré, où l’offre de commerces dépasse largement la demande réelle.
👎Des contraintes rédhibitoires
Au-delà des chiffres, la réalité sociale de ces métiers pèse lourdement dans la balance. Éric et Annie, horticulteurs depuis plus de 30 ans, cherchent eux aussi à transmettre leur exploitation pour 230 000 €. Mais la perspective effraie les candidats potentiels : un métier manuel, exigeant, avec des horaires qui dépassent souvent 80 à 90 heures par semaine.
Aujourd’hui, c’est surtout la motivation qui manque. C’est un métier qui demande énormément de temps
souligne Éric. Son épouse ajoute :
On s’est installés jeunes, et on n’a pas beaucoup vu nos enfants grandir, car le métier nous a pris tout notre temps.
Le couple a vécu plusieurs désillusions, entre banques frileuses et acheteurs qui se rétractent. Résultat : la cession reste bloquée, malgré des années de sacrifices.
Le manque d’attractivité de ces commerces traduit aussi une mutation structurelle : baisse de la vocation artisanale, désintérêt des jeunes générations pour des activités jugées trop contraignantes, et exigences bancaires de plus en plus strictes. Dans ce contexte, même des entreprises rentables peinent à séduire des repreneurs.
👁 L’œil de l’expert : l’urgence d’agir
La difficulté de vendre un commerce, même viable économiquement, révèle un paradoxe : la valeur d’un fonds n’est plus seulement comptable, elle est désormais sociale et générationnelle. Les repreneurs potentiels recherchent des modèles de travail compatibles avec un meilleur équilibre de vie, loin des semaines à rallonge.
Pour rétablir la fluidité du marché, plusieurs leviers sont envisageables : dispositifs fiscaux plus incitatifs pour les repreneurs, simplification des démarches bancaires et surtout accompagnement à la reconversion. Sans cela, le risque est clair : voir disparaître progressivement des pans entiers du commerce de proximité, pourtant essentiels au tissu économique local.
La crise actuelle n’est donc pas qu’une question de prix ou de rentabilité : c’est un changement de paradigme entrepreneurial, où la transmission d’entreprise doit s’adapter aux attentes d’une nouvelle génération d’actifs.