Le Rafale, fleuron de l’aéronautique militaire française, voit son succès commercial se transformer en casse-tête industriel. Alors que les commandes affluent, Dassault Aviation fait face à une saturation inquiétante de sa chaîne de production. Entre limitations capacitaires et fournisseurs au bord de la rupture, l’avionneur est confronté à un paradoxe économique majeur : comment produire plus, sans déséquilibrer son écosystème industriel ?
📈 Carnets de commandes pleins mais…
Avec 220 avions en commande fin 2024, Dassault Aviation n’a jamais eu un portefeuille aussi garni. Les commandes export représentent près des trois quarts des ventes : l’Inde (36 appareils commandés, plus 26 supplémentaires en avril 2025), les Émirats arabes unis (80 unités) ou encore l’Indonésie et le Qatar ont dopé la demande. Mais ce succès commercial révèle désormais une limite structurelle : la capacité de production.
La cadence de production actuelle plafonne à 25 Rafale par an, soit un peu plus de deux avions par mois. Or, comme le rappelle Éric Trappier, PDG de Dassault Aviation, l’accélération vers une cadence mensuelle de 5 appareils ne serait « envisageable qu’après 2030 » – soulignant ainsi le verrou technologique et logistique qui bride la montée en puissance. Pour un appareil aussi complexe, chaque Rafale nécessite environ 3 ans et demi de fabrication, avec des délais incompressibles sur certaines étapes critiques.
Le problème se cristallise autour de la phase finale d’assemblage et du manque d’espace logistique, mais aussi autour d’un maillon souvent invisible : les sous-traitants. Selon BFM Business :
la chaîne industrielle n’est pas encore calibrée et les fournisseurs « tirent la langue
face à la cadence imposée. Le risque : un goulot d’étranglement qui pourrait affecter les livraisons et fragiliser les relations commerciales avec les États clients.
🛠️ Une supply chain fragilisée, des initiatives ciblées
Le cœur du problème est bien là : les PME et ETI chargées de la fabrication de pièces stratégiques n’arrivent plus à suivre. En réponse, Dassault Aviation multiplie les initiatives pour stabiliser son écosystème : soutien bancaire aux plus fragiles, diversification des fournisseurs pour limiter les dépendances critiques, et création d’un nouveau hub logistique afin d’optimiser la gestion des flux.
Mais ces mesures, bien qu’indispensables, sont complexes à mettre en œuvre rapidement. Chaque composant du Rafale étant à haute valeur ajoutée et soumis à des normes industrielles draconiennes, il n’existe pas de fournisseurs de substitution immédiate. Le risque de désynchronisation entre les chaînes de montage et les sous-traitants pourrait, à moyen terme, pénaliser la rentabilité et allonger les délais de livraison.
Pour Dassault Aviation, le Rafale est aujourd’hui un succès stratégique mais une pression industrielle constante. Le constructeur doit désormais résoudre une équation complexe : augmenter la capacité de production sans sacrifier la qualité ni exploser ses coûts. Ce défi structurel n’est pas anodin : en matière de défense, la capacité de livrer à temps est un argument commercial déterminant face à la concurrence internationale.
👁 L’œil de l’expert : un dilemme industriel
Le succès du Rafale ne garantit plus la fluidité industrielle de Dassault. Le constructeur est désormais prisonnier de son propre succès. Si la diversification des clients export assure une croissance robuste, la fragilité de la chaîne d’approvisionnement et le manque de capacités d’assemblage ralentissent une dynamique qui pourrait être encore plus lucrative.
L’enjeu financier est majeur : toute rupture dans la supply chain se traduirait par des pénalités contractuelles, des coûts logistiques additionnels, et une érosion de la marge opérationnelle. Dassault Aviation joue donc sur plusieurs fronts : sécuriser son écosystème industriel et convaincre ses partenaires publics et privés d’investir massivement dans une montée en cadence rapide et pérenne.
Dans un monde où les tensions géopolitiques alimentent la demande en équipements de défense, Dassault doit transformer ce succès commercial en performance industrielle. Faute de quoi, l’avionneur risque de voir son statut de leader fragilisé au profit d’acteurs capables de répondre plus vite à la demande mondiale.