Armée française : l’équation impossible d’un réarmement à 100 milliards face à la dette
Vers une armée plus forte… au prix d’une rigueur budgétaire sans précédent : le vent du réarmement souffle à nouveau sur l’Europe, et la France ne fait pas exception. Avec des ambitions militaires à la hausse – jusqu’à 100 milliards d’euros de budget d’ici 2030, selon le ministre des Armées Sébastien Lecornu – le pays se heurte à une réalité glaçante : l’argent ne pousse pas sur les champs de bataille. Dans un contexte de finances publiques déjà étirées jusqu’à la corde, toute hausse de crédits pour la Défense devra se faire... au détriment d’autres postes clés ou au prix de réformes drastiques.
C’est ce qu’a sèchement rappelé Clément Beaune, Haut-commissaire au Plan, dans une note publiée le 19 mai 2025, qualifiée de « chirurgicale » par plusieurs observateurs.
Il ne faut pas croire aux solutions magiques
prévient-il. Car derrière les discours volontaristes, se cachent des équations budgétaires d’une extrême complexité. Décryptage des pistes envisagées — et de leurs effets potentiellement explosifs. 💥
✂️ Option 1 : rogner ailleurs — et pas qu’un peu
La première stratégie consiste à resserrer drastiquement les autres dépenses publiques. Pour éviter que la hausse des crédits militaires ne creuse davantage un déficit déjà devenu intenable, il faudrait que l’ensemble des autres budgets — hors défense et transition écologique — n’augmente que de 0,9 % par an en valeur d’ici 2030. Ce qui, en volume, reviendrait à une baisse historique, inédite sous la Ve République.
Cela signifierait une mise à la diète sévère pour des piliers de l’État-providence : santé, éducation, prestations sociales, collectivités, fonction publique… aucun secteur ne serait épargné. Et derrière la rigueur comptable, des tensions sociales et politiques inévitables.
💰 Option 2 : augmenter les impôts — jusqu’à la rupture ?
Autre levier possible : hausser massivement les prélèvements obligatoires. Le Haut-commissariat au Plan estime qu’il faudrait 15 milliards d’euros de recettes supplémentaires par an. Une telle trajectoire impliquerait une hausse de la TVA de deux points chaque année jusqu’en 2030. Soit dix points de plus en cinq ans : du jamais vu.
Même les propositions les plus audacieuses n’y suffiraient pas. La fameuse "taxe Zucman" sur les très grandes fortunes rapporterait entre 15 et 25 milliards d’euros par an. Il en faudrait cinq comme elle... et chaque année ! Résultat, selon le rapport : « un choc fiscal massif » qui risquerait de plomber la consommation, l’investissement et les recettes fiscales elles-mêmes. Autrement dit, un remède pire que le mal.
🏃 Option 3 : faire travailler la France… beaucoup plus
Troisième piste évoquée : augmenter le taux d’emploi. Objectif théorique : +5 points d’ici 2030, soit près de 2 millions de personnes supplémentaires sur le marché du travail. Pour donner un ordre d’idée, c’est l’équivalent de huit réformes des retraites en cinq ans — alors que celle de 2023 n'a permis qu’un gain de 0,6 point.
Des exemples existent : l’Allemagne a gagné six points entre 2004 et 2009, mais au prix de mini-jobs mal rémunérés et d’une forte modération salariale. Les Pays-Bas ont également accru leur emploi grâce au travail à temps partiel. Mais peut-on transposer ces modèles à la France ? Rien n’est moins sûr, tant les rigidités du marché du travail français persistent.
🇪🇺 Option 4 : l’Europe, chevalier blanc ou mirage collectif ?
Dernière voie évoquée : mobiliser les ressources européennes, via un emprunt mutualisé comme celui du plan de relance post-Covid. Le Haut-commissariat imagine un programme à 450 milliards d’euros, dont 70 milliards pour la France. Une bouffée d’oxygène potentielle.
Mais ici encore, les obstacles politiques sont nombreux. L’Allemagne reste résolument opposée à toute forme de mutualisation budgétaire, et l’idée d’un « ReArm Europe » reste pour l’instant embryonnaire. Comme le souligne prudemment le rapport,
le projet adresse un signal positif, mais reste d’ampleur modeste
⚖️ Un effort militaire, un arbitrage politique
À la lumière du rapport du HCP, aucune des options évoquées ne peut suffire à elle seule. Ce que confirme la note : « Aucune solution n’est envisageable isolément ». Pour porter un budget militaire à 100 milliards d’euros, il faudra activer plusieurs leviers à la fois, avec une série de choix douloureux à la clé.
Plus encore que le chiffre, c’est la méthode qui est en débat. Car réarmer sans déstabiliser le reste de l’économie et du contrat social français suppose un courage politique rare et une stratégie lisible à long terme. La guerre n’est pas déclarée, mais le combat budgétaire, lui, a déjà commencé.
👁 L’œil de l’expert : entre ambition stratégique et ligne rouge budgétaire
L’aspiration à renforcer la souveraineté militaire française est légitime, surtout dans un monde de plus en plus instable. Mais la trajectoire actuelle fait face à un double impératif : ne pas compromettre la stabilité économique, tout en maintenant le pacte social. La vraie bataille à venir ne sera pas sur un front lointain, mais dans les couloirs de Bercy, entre économistes, militaires et politiques. Une guerre d’arbitrages qui, elle aussi, demandera vision, détermination… et sacrifices inévitables.
À propos de l'auteur
Des années d’expérience et d’expertises financières, Fabien MONVOISIN est PDG du Groupe Win’Up composé de 4 enseignes spécialisées dans le regroupement de crédits, son ambition aujourd’hui est de décrypter l’actualité économique et financière dans l’objectif d’éclairer tous les Français