Alors que l’espérance de vie continue de progresser dans toute l’Europe et que les réformes des retraites se multiplient, la question de la durée réelle passée au travail devient un enjeu central pour les économies. Selon Eurostat, en 2024, les Français peuvent espérer passer 37,3 années en activité, soit à peine au-dessus de la moyenne européenne (37,2 ans), mais nettement derrière leurs voisins nordiques et même certains pays frontaliers comme l’Allemagne ou la Suisse. Un constat qui soulève une question : pourquoi la France travaille-t-elle moins longtemps que ses pairs ?
🕳 Un écart avec l’Europe de l’Ouest
Les chiffres sont sans appel : la Suisse culmine à 42,8 années d’activité moyenne, l’Allemagne atteint 40 ans, et l’Irlande 40,4 ans. Dans ce trio, les travailleurs restent sur le marché du travail environ 3 à 5 années de plus que les Français.
Ce différentiel n’est pas anecdotique. Il reflète des réalités économiques et sociales :
En Suisse et en Allemagne, l’âge légal de départ est plus élevé et les incitations à rester en poste sont plus attractives.
Les systèmes de retraite offrent moins de possibilités de départ anticipé, ce qui prolonge mécaniquement la durée de vie professionnelle.
Le taux d’activité des seniors est sensiblement supérieur à celui observé en France.
À l’inverse, l’Hexagone se retrouve dans un groupe intermédiaire, aux côtés de la Belgique (35 ans) ou du Luxembourg (35,6 ans), avec un rythme de progression plus lent depuis 10 ans.
📊 Les sources de la longévité professionnelle
Pour comprendre l’écart, il faut aller au-delà des chiffres. Comme l’explique le professeur Moritz Hess (Université des sciences appliquées de Niederrhein) :
La demande de main-d’œuvre, les règles de retraite et le traitement réservé aux seniors sont déterminants. Moins un système autorise la retraite anticipée, plus les carrières s’allongent.
En Allemagne ou en Suisse, l’âgisme — discrimination à l’encontre des travailleurs plus âgés — est moins marqué. Les entreprises valorisent leur expérience, leur savoir-faire et leur rôle de transmission. En France, malgré des réformes récentes, la culture de l’emploi des seniors reste très largement perfectible.
Autre facteur : les modèles familiaux et économiques. Comme le souligne Timo Anttila (Université de Jyväskylä), la structure des foyers — salaires doubles, organisation du travail, transports publics, disponibilité de services de garde — influence directement la continuité de carrière, notamment pour les femmes.
⚖️ L’équation économique à rééquilibrer
Eurostat rappelle que 81,5 % de la variance de la durée de vie active en Europe s’explique par le taux de participation au marché du travail. En clair : plus les actifs sont nombreux à rester sur le marché, plus la durée de carrière augmente.
En France, la participation des 55-64 ans reste inférieure à celle des pays nordiques ou de la Suisse. À long terme, cette tendance pourrait peser lourdement sur :
La soutenabilité du système de retraite, déjà sous tension démographique, nécessitant des réformes de plus en plus souvent
La productivité globale, alors que l’expérience reste un levier stratégique
Les finances publiques, avec un besoin accru de financement pour compenser la baisse d’actifs cotisants
Selon l’OCDE, d’ici 2060, l’âge moyen de départ dans l’UE atteindra 67 ans, avec certains pays dépassant 70 ans. Si la France veut combler son retard, elle devra agir sur plusieurs leviers : emploi des seniors, formation continue, attractivité du marché du travail, perception de la valeur du travail par les Français.
👁 L’Œil de l’expert
La France se situe à un carrefour stratégique : ses réformes des retraites l’alignent peu à peu sur ses voisins, mais ses pratiques d’emploi doivent évoluer pour réellement prolonger les carrières. Sans une hausse du taux d’activité des plus de 55 ans et une meilleure intégration des seniors, l’Hexagone risque de rester dans le ventre mou européen. Or, dans un contexte de vieillissement démographique, chaque année supplémentaire passée au travail représente un atout économique… et un défi social majeur.