Jamais les Français n’ont mis autant de côté, mais paradoxalement, leurs placements réglementés — au premier rang desquels le Livret A — subissent une hémorragie inédite.
Selon la Caisse des dépôts, le mois d’octobre a enregistré plus de 5 milliards d’euros de retraits nets sur le Livret A et le LDDS. Un chiffre qui marque un tournant majeur pour ces livrets pourtant emblématiques.
Pour Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’Épargne, cette rupture est claire : « Si octobre est traditionnellement un mois de décollecte, l’ampleur de 2025 révèle un basculement profond », explique-t-il. En toile de fond, un facteur central : l’effondrement progressif des taux d’intérêt, qui a fait perdre au Livret A son attractivité financière.
📉 Livrets réglementés : le grand reflux des dépôts
Taux d’intérêt en berne : la mécanique d’un désamour – Depuis le début de l’année 2025, la rémunération des livrets réglementés s’est contractée à grande vitesse en passant de 3 % à 2,4 % en février dernier, puis de 2,4 % à 1,7 % aumois d’août. Un niveau trop faible pour compenser l’effet de l’inflation, poussant les ménages à se détourner de ces placements historiquement sécurisés. Ainsi, en octobre, la décollecte s’est fortement accentuée : Le Livret A enregistre un recul de 3,81 milliards d’euros, alors que le LDDS accuse une baisse supplémentaire de 1,29 milliard, portant l’encours cumulé des deux produits à 601,7 milliards d’euros, selon les dernières données publiées.
Le phénomène n’est pas ponctuel : la Caisse des dépôts révèle que la décollecte avait déjà dépassé 2 milliards € en septembre, un niveau plus observé depuis 2019.
Un record d’épargne… mais orienté ailleurs – Paradoxalement, les Français continuent de mettre de l’argent de côté comme jamais. Selon la Banque de France, le taux d’épargne atteint 18,7 % du revenu disponible, ce qui constitue le plus haut niveau depuis les années 1970 hors Covid. Mais cet argent se déplace. Les épargnants privilégient des produits plus rémunérateurs.
LEP : légère respiration mais toujours fragile – Le Livret d’Épargne Populaire, pourtant affiché comme l’un des placements les mieux rémunérés du marché, n’a enregistré en octobre qu’une collecte très légèrement positive de 20 millions €.
Son encours (80,7 milliards €) reste en retrait par rapport au printemps, conséquence de nombreuses fermetures liées au dépassement des conditions de ressources.
📈 Assurance-vie : la grande gagnante
La ruée vers les fonds euros – Là où les livrets réglementés s’essoufflent, l’assurance-vie s’impose comme le refuge favori. En septembre, les ménages ont injecté 14,9 milliards d’euros dans ces contrats — du jamais-vu pour un mois de septembre.
Pourquoi un tel engouement ?
Les fonds euros retrouvent un rendement compétitif, estimé autour de 2,6 % en 2025. Selon Philippe Crevel, « les ménages redirigent leur épargne, séduits par un rendement redevenu compétitif ». Les chiffres confirment cette tendance lourde : l‘encours total de l’assurance-vie atteint plus de 2 000 milliards €, soit trois fois plus que l’encours combiné Livret A + LDDS.
Vers un nouveau choc sur les taux ? Les projections actuelles ne jouent pas en faveur du Livret A. D’après les prévisions évoquées dans la presse économique, le Livret A pourrait tomber à 1,4 % début 2026 et le LEP serait ajusté à 2,40 %. Cependant, cette trajectoire n’est pas gravée dans le marbre. La décision finale reste hautement politique, laissant ouverte la possibilité d’un “coup de pouce” gouvernemental pour freiner la baisse.
👁️ L’œil de l’expert : un tournant pour l’épargne française
Ce qui se joue aujourd’hui n’est pas une simple variation conjoncturelle, c’est un changement structurel dans la manière dont les Français arbitrent leur épargne.
Il faut comprendre que les produits réglementés ne peuvent rester attractifs avec des taux mécaniquement indexés sur l’inflation. Ainsi l’assurance-vie, dopée par le rebond des fonds euros, retrouve un statut central dans la stratégie patrimoniale des ménages français. Les flux d’épargne, dans les prochains mois, vont donc dépendre de deux leviers : la politique monétaire, mais aussi d’éventuelles décisions politiques sur les taux réglementés. Le risque de décollecte prolongée pourrait par ailleurs fragiliser la capacité de financement de certains investissements publics (via le Livret A). Le message envoyé par les épargnants est limpide : face à la baisse des rendements et à l’érosion du pouvoir d’achat, ils privilégient la performance plutôt que l’attachement symbolique aux produits historiques. Si les taux continuent à glisser, le déplacement massif vers l’assurance-vie pourrait s’amplifier — redéfinissant durablement l’architecture financière de l’épargne française.





