Le 22 juillet 2025 restera marqué par une annonce choc : Lockheed Martin, leader mondial de l’aéronautique et de la défense, a enregistré une charge exceptionnelle de 1,6 milliard de dollars, entraînant un effondrement brutal de son bénéfice trimestriel. Une claque inattendue pour une entreprise considérée jusque-là comme une valeur refuge des marchés. Derrière cette contre-performance, c’est la soutenabilité même du modèle industriel militaire qui interroge désormais investisseurs et États.
📉 Des programmes plombent le résultat
Le chiffre est vertigineux : 1,6 milliard de dollars de charge exceptionnelle au 2e trimestre 2025. Une décision comptable lourde, résultant selon le communiqué officiel de « pertes sur un programme classifié » et de « difficultés techniques sur plusieurs contrats internationaux d’hélicoptères » via la filiale Sikorsky.
Conséquence directe : le bénéfice par action (BPA), indicateur clé pour les actionnaires, s’est effondré à 1,46 dollar, contre 6,85 dollars un an plus tôt. En parallèle, le résultat opérationnel s’est contracté de 65%, s’établissant à seulement 748 millions de dollars. Et pourtant, le chiffre d’affaires est resté quasi stable, atteignant 18,1 milliards de dollars sur le trimestre.
Ce contraste révèle un dérapage opérationnel majeur, sur fond de projets confidentiels, souvent très capitalistiques et difficilement contrôlables. Un revers qui, comme le souligne le directeur financier du groupe, met en lumière « les risques structurels inhérents aux grands programmes industriels classifiés. »
💸 Une valeur refuge sous pression
Les marchés financiers n’ont pas tardé à réagir. Le 22 juillet, le titre Lockheed Martin (LMT.N) a plongé de 7% en préouverture, tombant à 427 dollars. Depuis le début de l’année, la baisse cumulée dépasse 5%, un chiffre peu commun pour un acteur habituellement perçu comme stable face aux incertitudes économiques.
Sur les 24 analystes interrogés par l’agence Bloomberg, la prudence domine : 11 recommandent encore l’achat, 12 préconisent de conserver, et un seul conseille la vente. La valorisation cible médiane reste fixée à 527,5 dollars, bien au-dessus des niveaux actuels, mais les perspectives 2025 sont désormais placées sous « surveillance négative » par plusieurs courtiers.
Le groupe a d’ailleurs abaissé ses prévisions annuelles : le BPA cible est désormais anticipé entre 21,70 et 22 dollars, contre des projections antérieures bien supérieures. L’entreprise table sur un bénéfice opérationnel annuel plafonnant autour de 6,7 milliards de dollars, malgré des revenus toujours solides entre 73,75 et 74,75 milliards de dollars.
⚠️ Les limites de l’hypertechnologie
La déconvenue de Lockheed Martin dépasse le simple cadre financier. Le modèle industriel du secteur de la défense, reposant sur des technologies de pointe, des programmes classifiés et des cycles d’innovation très longs, montre aujourd’hui ses failles systémiques. Pour l’économiste de la défense James Gordon :
Cette affaire révèle les dérives budgétaires inhérentes aux projets militaires hyper-technologiques, souvent dissimulés derrière le secret défense.
Ce revers soulève également la question de la gestion des risques : comment anticiper et contrôler des projets sur plusieurs années, avec des budgets initiaux souvent explosés en phase opérationnelle ? Les clients étatiques – au premier rang desquels le Pentagone – pourraient voir les coûts des programmes croître et les calendriers de livraison glisser, impactant potentiellement les finances publiques.
Enfin, cette crise fragilise un modèle fondé sur la rente institutionnelle, dans un contexte géopolitique où la réactivité industrielle devient cruciale. La guerre en Ukraine et les tensions en Asie-Pacifique rappellent la nécessité d’une industrie militaire plus agile et transparente.
👁️ L’œil de l’expert : une alerte sérieuse pour le secteur de la défense
Pour Lockheed Martin, cette charge exceptionnelle marque un coup d’arrêt dans un parcours boursier jusqu’ici maîtrisé. Derrière cette défaillance opérationnelle, c’est tout un modèle économique fondé sur la complexité et la confidentialité qui apparaît fragilisé. Le secteur de la défense doit désormais réinventer ses méthodes de pilotage industriel pour rassurer investisseurs et États, sous peine de voir les programmes futurs remis en question.
Lockheed Martin traverse une zone de turbulences dont les répercussions dépasseront le cadre de l’entreprise, c’est certain. C’est peut-être un tournant stratégique pour l’ensemble de l’industrie de la défense occidentale.