Le logement n’est plus seulement un sujet social : il est devenu un risque macroéconomique majeur pour l’Union européenne. Hausse vertigineuse des prix, loyers déconnectés des revenus, pénurie de construction… La crise immobilière s’est installée durablement dans les 27 États membres. La Commission européenne elle-même parle désormais d’un enjeu prioritaire, au point de présenter son premier plan dédié au logement abordable. Une reconnaissance tardive d’un déséquilibre profond, nourri par la financiarisation, la flambée des coûts et un sous-investissement chronique.
🚨Les ressorts économiques d’une flambée durable
Sur le plan strictement financier, la dynamique des prix est sans appel. Entre 2010 et 2025, les valeurs immobilières ont progressé de plus de 60 % en moyenne dans l’Union européenne, tandis que les loyers ont bondi d’environ 29 %. Dans certains pays, la hausse a pris une dimension quasi spéculative : en Estonie, les prix à l’achat ont explosé de 250 % depuis 2010, et les loyers de 218 %.
Pour Thomas Kattnig, membre du Conseil économique et social européen (Cese), cette crise s’inscrit dans une trajectoire longue : elle trouve ses racines dans la crise financière de 2008-2009, prolongée par des politiques d’austérité qui ont freiné l’investissement public. Mais le phénomène s’est accéléré à partir de 2015, sous l’effet combiné de la hausse du foncier, de la financiarisation du logement et du choc inflationniste post-pandémie. Il résume ainsi la situation : la crise s’est « aggravée sous l’effet de la financiarisation et de la hausse généralisée du coût de la vie ».
Marie Hyland, chercheuse en politiques sociales au sein d’Eurofound, met en lumière un autre moteur économique clé : la quête de rendement. « À la recherche de rentabilité, les investisseurs ont contribué à la hausse des prix et à leur décrochage par rapport aux salaires », explique-t-elle. Cette logique est renforcée par l’essor massif de la location touristique de courte durée, bien plus lucrative que la location classique. En 2024, les plateformes comme Airbnb, Booking, Expedia ou Tripadvisor ont cumulé 854 millions de nuitées en Europe, soit près du double de 2018. Résultat : une raréfaction de l’offre résidentielle et une pression haussière durable sur les loyers.
🧱 Un déséquilibre structurel qui étouffe l’offre
La crise du logement européenne ne se limite pas à une question de prix : elle est aussi celle d’un déficit d’offre massif. Selon la Commission européenne, l’Union devrait produire plus de deux millions de logements par an pour répondre à la demande actuelle. Or, la cadence réelle plafonne à environ 1,6 million d’unités par an.
Ce retard s’explique en grande partie par l’envolée des coûts de construction. Depuis 2010, bâtir un logement coûte en moyenne 56 % plus cher dans l’UE. Les écarts nationaux sont spectaculaires : +172 % en Hongrie, +43 % en France. Cette inflation pèse aussi bien sur les promoteurs privés que sur les bailleurs sociaux, réduisant mécaniquement l’offre de logements accessibles aux classes moyennes.
John Comer, spécialiste du logement au sein du Cese, résume l’équation économique : « Nous devons construire davantage de logements que des ménages aux revenus ordinaires puissent financer avec des crédits soutenables ». Faute de quoi, la pression se reporte sur les ménages. En 2024, les Européens consacraient en moyenne 19 % de leur revenu disponible à leur logement. Mais ce taux grimpe à 37 % pour les ménages les plus modestes, et plus de 16,5 millions de foyers dépassaient le seuil critique de 40 % de taux d’effort.
Les conséquences sont lourdes : sur-occupation des logements (17 % de la population européenne), difficultés accrues pour les jeunes actifs aux contrats précaires, fragilisation des familles monoparentales, et hausse du sans-abrisme, avec près de 1,3 million de personnes sans logement dans l’UE.
👁️ L’œil de l’expert : un risque systémique
La crise du logement en Europe n’est plus conjoncturelle, elle est structurelle. Elle alimente les tensions sociales, comprime le pouvoir d’achat et menace la mobilité du travail, un pilier du marché unique. Tant que les politiques publiques ne s’attaqueront pas simultanément à la spéculation, au financement de la construction et à la maîtrise des coûts, le logement restera un facteur de déséquilibre économique majeur.
Le plan européen pour le logement abordable marque une prise de conscience bienvenue, mais il arrive tard. Sans un choc d’investissement massif et ciblé, la crise immobilière européenne continuera de peser durablement sur la croissance, la cohésion sociale et la stabilité économique du continent.

