L’été des transferts a confirmé ce que les économistes du sport répètent depuis plusieurs saisons : le football vit désormais à plusieurs vitesses. La Premier League s’impose comme un marché hors-sol, dépensant sans compter, tandis que d’autres championnats misent sur la rentabilité et les plus-values. Au-delà du spectacle, ce sont des logiques financières profondément divergentes qui redessinent la carte du football mondial.
💷 L’Angleterre, un marché en apesanteur
Avec 3,59 milliards d’euros injectés, la Premier League s’est encore affirmée comme un mastodonte sans équivalent. Liverpool (482,9 M€), Chelsea (328,1 M€), Arsenal (293,5 M€) et Manchester United (250,7 M€) trustent le sommet du classement des clubs les plus dépensiers. Les signatures d’Alexander Isak (145 M€), Florian Wirtz (125 M€) ou encore Hugo Ekitike (95 M€) illustrent la force d’attraction intacte du championnat anglais.
Mais derrière cette puissance se cache une équation budgétaire déséquilibrée : le déficit global atteint –1,50 milliard d’euros. Arsenal (–283,2 M€), Liverpool (–263,4 M€) ou Manchester City (–136,4 M€) affichent des pertes massives qui ne compromettent pourtant en rien leur compétitivité :
Tant que les droits TV et les revenus commerciaux alimenteront la machine, la Premier League restera sur une autre planète
Autrement dit, les clubs anglais vivent dans une bulle économique entretenue par des recettes télévisées colossales et une monétisation mondiale de leur image. Une situation unique qui les protège des contraintes de rentabilité immédiate, mais qui accentue l’écart avec le reste de l’Europe.
⚽️ L’Europe continentale entre + et –
Face à l’hyperpuissance anglaise, deux dynamiques distinctes se dessinent. D’un côté, la Ligue 1 (+344,7 M€), la Jupiler Pro League (+217,6 M€), la Bundesliga (+181,2 M€) et l’Eredivisie (+143,2 M€) affichent des excédents records. Clubs formateurs et exportateurs, ils misent sur la valorisation de jeunes talents. Monaco (+103,57 M€), Stuttgart (+76,65 M€), Nice (+74,07 M€) et Lille (+71,6 M€) démontrent qu’un modèle basé sur la vente peut générer une rentabilité structurelle.
À l’opposé, plusieurs championnats s’enfoncent dans le rouge : la Serie A (–81,6 M€), la Liga (–46,9 M€), la Süper Lig (–160,3 M€) et surtout la Saudi Pro League (–341,9 M€). Ces compétitions dépensent massivement sans parvenir à équilibrer leurs ventes. « Exporter pour survivre ou acheter pour exister » : le dilemme est clair et les déséquilibres, criants.
De nouveaux hubs émergent également. Chelsea, paradoxalement, combine 328,1 M€ d’achats et 332 M€ de ventes, réussissant à finir dans le vert. Bournemouth (238,4 M€ de ventes) et Leverkusen (229,5 M€) incarnent cette logique de plateformes à double flux. À l’inverse, Galatasaray a bouleversé le marché turc avec 148 M€ dépensés pour un déficit de 130 M€, une première dans l’histoire du club.
👁️ L’œil de l’expert
L’été 2024 confirme que le football européen se structure en modèles économiques divergents :
La Premier League : une bulle autorégulée, soutenue par des revenus hors norme, mais au prix de déficits abyssaux.
Les ligues exportatrices (France, Allemagne, Belgique, Pays-Bas) : rentables grâce à la formation et à la vente, mais fragiles sur le plan sportif faute de conserver leurs talents.
Les championnats déficitaires (Italie, Espagne, Turquie, Arabie Saoudite) : condamnés à dépenser pour exister, sans équilibre durable.
À terme, ces fractures pourraient remodeler la compétitivité européenne : les clubs anglais resteront dominants, mais les excédents générés ailleurs permettent à certains acteurs d’asseoir une stabilité financière stratégique. Le football est plus que jamais un marché mondial polarisé, où la rationalité économique et la démesure coexistent dans un équilibre instable.





