Une énorme opportunité qui s’évapore… Le constructeur français Naval Group espérait décrocher une part du gigantesque programme canadien de renouvellement de sa flotte sous-marine, évalué à 60 milliards de dollars canadiens. Mais le rêve a tourné court : dès la seconde phase de sélection, Ottawa a choisi d’écarter l’offre française.
Le groupe basé à Cherbourg misait sur le Barracuda BlackSword, fort de l’expérience de la Marine nationale et de ses compétences reconnues en navigation sous glace et en missions de longue durée. Une visite symbolique avait même été organisée à Halifax avec le sous-marin nucléaire d’attaque Tourville pour démontrer ce savoir-faire.
Pourtant, le Canada a retenu deux autres concurrents : l’allemand TKMS avec son U212CD et le sud-coréen Hanwha Ocean avec son KSS-III Batch 2.
Comme le souligne le site spécialisé Opex360, ce choix représente « un revers stratégique » pour Naval Group, rappelant l’échec des années 1980, lorsque la France avait déjà perdu une compétition similaire au Canada.
⚓️ Ottawa choisit Berlin et Séoul
Le gouvernement canadien justifie son arbitrage par « une évaluation approfondie des besoins du Canada », a déclaré le ministère de la Transformation du gouvernement et des Travaux publics. Les critères incluaient la rapidité des livraisons, les retours des marines alliées et surtout une logique d’interopérabilité stratégique.
En privilégiant Berlin, Ottawa s’associe à un partenaire qui coopère déjà étroitement avec la Norvège sur la sécurisation de l’Atlantique Nord et de l’Arctique. Le Canada pourra ainsi bénéficier d’un alignement opérationnel avec ses alliés, puisque l’Allemagne et Oslo équiperont également leurs marines du U212CD.
La Corée du Sud, de son côté, a séduit Ottawa par son offre technologique compétitive et sa capacité à nouer des partenariats industriels locaux, un critère devenu incontournable pour le Canada. « Le programme de sous-marins canadiens de patrouille vise autant à renforcer nos alliances qu’à développer une coopération industrielle au Canada », a insisté David J. McGuinty, ministre canadien de la Défense.
⚖️ Naval Group fortement challengé
Ce nouvel échec intervient alors que Naval Group sortait pourtant renforcé de sa victoire aux Pays-Bas avec le BlackSword Barracuda. Mais la compétition internationale sur le marché des sous-marins reste féroce, dominée par les Européens et les Asiatiques.
Au-delà du contrat perdu, c’est la dimension économique et industrielle qui inquiète. Les 60 milliards de dollars canadiens du programme représentaient une opportunité majeure d’exportation pour la France, avec des retombées directes sur l’emploi et la chaîne de sous-traitance nationale. En se faisant écarter, Naval Group subit une perte de visibilité stratégique sur un marché-clé, alors même que la demande mondiale en sous-marins conventionnels explose dans un contexte de tensions géopolitiques.
Cet échec confirme aussi la difficulté pour la France à s’imposer sur certains marchés alliés, où la dimension politique et les alliances stratégiques pèsent souvent plus lourd que les seuls arguments techniques.
👁️ L’œil de l’expert : plus de diplomatie
La déconvenue canadienne envoie un signal fort : la compétition navale se joue désormais autant sur le terrain diplomatique et industriel que sur la performance technique. Naval Group a le savoir-faire, mais ses concurrents anticipent mieux les attentes politiques et économiques des pays clients.
Pour la France, la leçon est double. D’une part, renforcer ses alliances stratégiques devient vital pour espérer décrocher des contrats hors d’Europe. D’autre part, il faudra accentuer l’intégration de partenaires locaux dans les offres afin de répondre aux critères de retombées industrielles exigés par les acheteurs.
Sans un repositionnement stratégique clair, Naval Group risque de voir se multiplier les échecs commerciaux sur des marchés clés. Or, chaque contrat perdu n’est pas seulement un revers industriel : c’est aussi un affaiblissement de l’influence française dans la compétition mondiale pour le contrôle des mers.