L’édition 2025 du baromètre du Médiateur national de l’énergie constitue une véritable alerte sociale : 36 % des Français déclarent avoir eu du mal à régler leur facture d’électricité ou de gaz au cours des douze derniers mois, contre 18 % en 2020 et 28 % en 2024. Cette progression progressive mais implacable témoigne d’une crise structurelle du pouvoir d’achat énergétique, exacerbée par des hausses tarifaires et des taxes lourdes. Dans ce contexte, les dispositifs d’aide comme le chèque énergie, souvent présentés comme une soupape, montrent leurs limites et leur fragilité administrative.
⚡ L’aide publique vacille face à l’urgence
Parmi les enseignements les plus marquants du baromètre, 74 % des ménages affirment avoir réduit leur chauffage en 2025, souvent au point de descendre sous les 18 °C, ce qui peut placer leur santé en danger. Le choix n’est plus de consommer, mais de résister à l’envol des coûts énergétiques. Pour beaucoup, chaque facteur compte : la hausse des tarifs, l’augmentation des taxes, et un marché de l’électricité de plus en plus volatil.
Face à cette pression, le chèque énergie, outil d’aide emblématique, est pourtant arrivé en retard cette année. Habituellement distribué au printemps, il ne sera versé qu’en novembre 2025, en raison du retard dans le vote de la loi de finances. Ce décalage inquiète : six bénéficiaires sur dix estiment que ce temps perdu pourrait les plonger dans une situation de fragilité, et un tiers craignent une coupure de service, selon plusieurs enquêtes. Autrement dit, une aide conçue pour protéger parfois fragilise quand elle est retardée.
Mais le problème va plus loin : la fiscalité énergétique en France est un poids invisible mais lourd. Aujourd’hui, les taxes — TICFE, contributions aux services publics de l’énergie, TVA — représentent près d’un tiers de la facture électrique moyenne. Une surcharge que beaucoup de Français ne perçoivent pas pleinement mais ressentent dans leur budget.
Le mécanisme d’ARENH (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique), censé contenir les prix pour les fournisseurs alternatifs, montre ses limites en période de tensions. Quand les volumes octroyés s’épuisent, les acteurs doivent acheter sur le marché de gros, souvent à des prix beaucoup plus élevés, et répercuter ces coûts sur les consommateurs.
Ce double piège fiscal + marché structurel fait de la France un cas paradoxal : dans un pays où la production d’électricité est encore largement décarbonée, les ménages les plus modestes restent les plus exposés à la précarité énergétique. Le modèle repose sur des subventions à répétition — chèque énergie, bouclier tarifaire — qui deviennent des charges structurelles sur les finances publiques.
Avec l’hiver qui approche — saison où 60 % des dépenses d’énergie d’un foyer sont concentrées — le nombre de foyers déjà en difficulté (36 %) laisse présager un hiver rude sur le plan social. Le constat est amer : se chauffer pourrait redevenir un privilège, et non une évidence.
👁️ L’œil de l’expert : revoir le modèle énergétique
Ce baromètre sonne comme une sonnette d’alarme pour les pouvoirs publics. Le défi est double : réduire le poids des taxes énergétiques et réformer l’architecture du marché de l’électricité, en particulier le régime ARENH, afin d’éviter que la volatilité des prix de gros ne se répercute intégralement sur les foyers.
À court terme, le chèque énergie doit redevenir un outil ponctuel, pas un pilier permanent. Ils faudra également renforcer les dispositifs de rénovation thermique — véritable levier de long terme pour soulager durablement les factures.
En théorie, une baisse de taxes de l’ordre de quelques points de pourcentage aurait un impact direct : moins de consommation d’urgence, moins de coupures, et un recul de la précarité énergétique.
Mais le chemin est semé d’embûches : arbitrages budgétaires, résistance des circuits fiscaux, inertie institutionnelle. Le paradoxe est cruel : l’énergie, bien vital, reste l’un des secteurs les plus rentables pour l’État par la fiscalité, mais sa distribution commande désormais une exigence sociale renouvelée.
L’hiver s’annonce donc non seulement glacial pour les foyers, mais décisif pour la crédibilité d’un modèle énergétique qui pèche par ses impensés. La France doit choisir entre réparer le système fiscal de l’énergie ou accepter que beaucoup se chauffe moins pour vivre moins bien.




