Une initiative locale aux accents nationaux. La Ville de Rennes vient de lancer une expérimentation inédite : la « carte alimentation durable », destinée à soutenir les ménages précaires tout en favorisant une consommation responsable. Concrètement, 240 foyers des quartiers prioritaires bénéficieront de 100 € mensuels, pendant six mois, pour acheter exclusivement des produits bio ou issus des « terres de sources ». L’opération, qui sera déployée en 2026, ne se limite pas à une aide alimentaire : elle s’inscrit dans une réflexion plus large sur la santé publique, la justice sociale et la transition écologique. Mais derrière cette innovation sociale, c’est aussi tout un modèle économique qui se dessine, à l’intersection entre politique locale, redistribution ciblée et filières agricoles durables.
🌍 Une aide qui repense le budget alimentaire
Pour Ludovic Brossard, délégué à l’agriculture urbaine et à l’alimentation durable, répondant à Ouest-France, la philosophie est claire :
Cette carte de paiement permettra uniquement l’achat de produits issus d’agriculture biologique et/ou de terre de sources
En d’autres termes, les foyers ne pourront pas consommer de produits transformés ni de biens non alimentaires.
Ce choix est loin d’être anodin. Les familles précaires, faute de moyens, privilégient souvent des denrées moins coûteuses mais de qualité nutritionnelle médiocre, avec des conséquences sanitaires durables (obésité, diabète, maladies cardiovasculaires). L’expérimentation vise donc un double objectif : soulager la contrainte budgétaire tout en orientant les comportements alimentaires.
Sur le plan économique, l’enjeu est de taille : injecter 100 € mensuels par famille dans des circuits courts et bio, c’est stimuler directement l’économie locale et les commerces partenaires. Selon Isabelle Marchadier, chargée de mission économie circulaire :
Les foyers précaires sont contraints d’acheter des produits de moins bonnes qualités. L’objectif est de les sensibiliser à une alimentation plus saine, avec un soutien financier à l’appui.
Autrement dit, Rennes expérimente un dispositif qui combine politique sociale ciblée et politique économique territorialisée, en orientant la consommation vers des produits plus vertueux.
💳 Une sécurité sociale de l’alimentation ?
Cette carte n’est pas seulement une aide ponctuelle. Elle s’inscrit dans une réflexion beaucoup plus large : comment garantir, à terme, une alimentation saine pour tous, à l’image de l’accès universel aux soins ?
L’alimentation devrait être un droit, comme la santé avec la Sécurité sociale
insiste Ludovic Brossard. L’idée fait écho aux débats nationaux sur la création d’une « sécurité sociale de l’alimentation », financée par des cotisations et orientée vers des produits de qualité.
Le suivi scientifique confié au CNRS constituera un élément décisif. Les chercheurs analyseront les comportements d’achat avant, pendant et après l’expérimentation, afin de mesurer si les familles poursuivent la démarche une fois l’aide arrêtée. Là encore, l’enjeu dépasse Rennes : il s’agit de savoir si une telle politique peut avoir un effet durable et reproductible à l’échelle nationale.
Mais l’expérience comporte aussi un défi : éviter que ce dispositif ne crée un marché parallèle contraint, où les familles se sentent surveillées dans leurs achats, et garantir que l’aide ne se limite pas à une politique de court terme.
👁️ L’œil de l’expert : aider à manger mieux
Ce projet rennais illustre un basculement majeur : la politique alimentaire devient une politique économique et sociale de première importance. À la croisée de la justice sociale, de la santé publique et du soutien aux filières durables, la « carte alimentation durable » pose les bases d’un modèle hybride.
Mais sa réussite dépendra de deux conditions clés :
La pérennité du financement : 100 € par mois et par famille, généralisés à l’échelle nationale, représenteraient un coût budgétaire considérable.
L’adhésion des bénéficiaires : la contrainte de consommer exclusivement du bio et du local pourrait générer des frustrations si elle n’est pas accompagnée d’une réelle pédagogie.
Si Rennes parvient à prouver que ce modèle améliore la santé des ménages tout en renforçant l’économie locale, elle pourrait bien inspirer une réforme structurelle de la politique alimentaire française.