Alors que l’été bat son plein et que la France accueille des millions de touristes, une réalité bien moins visible frappe de plein fouet les rouages de deux piliers économiques : tourisme et agriculture. Plus de 400 000 travailleurs saisonniers font face à un obstacle aussi simple que crucial : se loger à proximité de leur emploi. Un déficit structurel d’hébergement qui met à mal la productivité de secteurs représentant ensemble près de 10 % du PIB national.
Selon un rapport récent de la Cour des comptes, cette pénurie de logements constitue un frein majeur à l’emploi saisonnier et pourrait, à terme, compromettre la performance économique de territoires entiers. « Ces secteurs économiques stratégiques ne peuvent se développer sans travailleurs saisonniers », rappellent les magistrats dans leur rapport du 4 juillet.
Une pénurie structurelle à fort coût économique
Les chiffres sont sans appel : 400 000 saisonniers sont actuellement dépourvus de solutions d’hébergement à proximité de leur lieu de travail, soit un quart de la population saisonnière estimée par la Cour des comptes. Dans les zones à forte tension immobilière – littoraux, zones viticoles, sites touristiques – le déséquilibre entre offre et demande de logement atteint un point critique. Ce manque freine non seulement les embauches mais pénalise également la continuité d’activités essentielles comme les vendanges, l’hôtellerie ou les parcs de loisirs.
En 2023, le tourisme a généré 63,5 milliards d’euros de recettes, représentant 8 % du PIB, tandis que la viticulture a pesé 15 milliards d’euros, soit 16 % de la production agricole nationale. Autant d’enjeux financiers mis en péril par l’incapacité à loger la main-d’œuvre saisonnière. Et si certains grands groupes (notamment dans les stations de ski ou les parcs d’attraction) ont mis en place des initiatives privées, l’ampleur du phénomène dépasse de loin les capacités d’action individuelles.
À cela s’ajoute la transformation des rythmes saisonniers, avec des hivers raccourcis, des étés allongés et des intersaisons plus actives, complexifiant davantage la planification des besoins en hébergement temporaire. Résultat : une inadéquation croissante entre les infrastructures existantes et les attentes du marché du travail.
️ Vers une politique nationale du logement saisonnier ?
Face à ce défi, la Cour des comptes propose une approche plus systémique, au-delà des simples actions locales. Elle recommande une coordination nationale pilotée par l’État et les collectivités, avec une vision globale et une gestion harmonisée des ressources. L’une des priorités affichées : que chaque commune dispose d’ici 2026 d’un budget spécifique dédié à l’hébergement des travailleurs saisonniers, permettant un meilleur pilotage et suivi des investissements.
Autre piste : la réactivation d’un réseau structuré de « maisons des saisonniers« , dès 2025. Ces structures d’accueil locales permettent de centraliser accompagnement social, démarches administratives et solutions d’hébergement. Si elles ont déjà fait leurs preuves dans certains bassins d’emploi, leur généralisation pourrait créer un levier opérationnel majeur.
Mais pour la Cour des comptes, l’enjeu ne se limite pas à la logistique. Il s’agit également de revaloriser le statut de ces travailleurs précaires, trop souvent invisibilisés malgré leur rôle essentiel dans la vitalité économique de régions entières. Car à long terme, un écosystème saisonnier performant repose sur des conditions de vie dignes, stables et compatibles avec les exigences du marché.
L’œil de l’expert : quand l’hébergement va, tout va
Ce déficit d’hébergement saisonnier n’est pas une simple faille sociale : c’est un facteur de fragilité économique structurelle. Tant que l’hébergement ne sera pas pensé comme un maillon stratégique de la chaîne de valeur, les secteurs du tourisme et de l’agriculture resteront exposés à des pénuries de main-d’œuvre chroniques. L’enjeu est double : stabiliser l’emploi saisonnier et sécuriser des milliards d’euros de recettes nationales. Un défi qui appelle une réponse rapide, cohérente et surtout, à l’échelle nationale.