La sacro-sainte mensualisation du salaire, instaurée en France dans les années 1970, vacille face à de nouvelles attentes. En quête de flexibilité financière et de maîtrise de leur budget, une part croissante des salariés souhaitent désormais être payés plusieurs fois par mois. Selon une étude Ipsos pour PayFit, près de 4 Français sur 10 aimeraient que leur rémunération soit versée en plusieurs échéances au cours du mois.
Ce phénomène, qui touche particulièrement les jeunes actifs et les classes modestes, interroge la rigidité du modèle salarial français et révèle un profond changement sociologique dans le rapport à l’argent.
🔁 Une nouvelle génération qui bouscule les codes
Les habitudes de versement changent, portées par un besoin de souplesse et une pression budgétaire croissante. D’après le sondage, 20 % des salariés plébiscitent un paiement bimensuel, 13 % souhaitent un versement à la demande, et 6 % préféreraient un paiement hebdomadaire.
Mais c’est la jeune génération qui tire cette mutation : 59 % des 18–34 ans se déclarent favorables à des paiements plus fréquents — un écart de 20 points avec la moyenne nationale.
Pour Firmin Zocchetto, CEO et co-fondateur de PayFit, cette tendance illustre une transformation culturelle :
Les jeunes perçoivent souvent le salaire mensuel comme un décalage injuste entre leur travail et la réalité de leurs dépenses. Le versement fractionné leur permettrait de mieux piloter leurs finances et d’éviter des découverts coûteux.
Ce modèle, déjà testé dans plusieurs pays anglo-saxons, séduit aussi par son effet psychologique : il favorise la perception d’une rémunération « vivante« , plus en phase avec le rythme réel de la consommation.
Dans un contexte où le pouvoir d’achat demeure la principale préoccupation des Français, cette aspiration traduit une recherche de stabilité immédiate face à l’inflation et à la volatilité des dépenses essentielles (logement, transport, alimentation).
⚖️ Un défi organisationnel pour les entreprises
Si le versement fractionné du salaire séduit, il accentue aussi les clivages économiques. Selon l’étude, les catégories socio-professionnelles inférieures sont deux fois plus nombreuses que les CSP+ à souhaiter ce changement.
« La flexibilité salariale cristallise un double mouvement : celui d’une génération en quête d’autonomie et celui d’une partie des salariés pour qui cette souplesse devient une nécessité économique », analyse Firmin Zocchetto.
La question du paiement à la demande renvoie aussi à une pratique déjà existante : l’acompte sur salaire. Prévu par le Code du travail, il permet de percevoir une partie du salaire correspondant à un travail déjà accompli. Mais en pratique, ce droit reste sous-utilisé.
Près de 29 % des 18–34 ans ont déjà formulé une telle demande, contre 18 % des autres salariés. Ce sont surtout les hommes, souvent en situation financière tendue (revenu inférieur d’environ 500 euros à la moyenne), qui y recourent.
Les freins restent nombreux : procédures administratives lourdes, multiplicité des interlocuteurs (manager, RH, direction), et surtout, gêne sociale. Beaucoup de salariés associent encore cette démarche à un aveu de difficulté financière.
Pour les entreprises, cette évolution pose aussi des enjeux de trésorerie et d’organisation : adapter les systèmes de paie, automatiser la gestion et maintenir la cohérence des flux comptables représente un défi, notamment pour les TPE et PME.
👁️ L’œil de l’expert
La volonté croissante de fractionner le salaire traduit un tournant majeur du rapport au travail et à la rémunération. Dans une économie marquée par la précarité, les dépenses instantanées et les paiements dématérialisés, les salariés aspirent à une gestion plus fluide et personnalisée de leur argent.
Du côté des entreprises, cette évolution pourrait devenir un levier d’attractivité RH : offrir la possibilité d’un paiement flexible renforcerait la fidélisation et le bien-être financier des collaborateurs.
Mais sans accompagnement global – notamment en éducation budgétaire et en innovation technologique – cette tendance pourrait accentuer les inégalités structurelles entre salariés stables et précaires.
En somme, la fin du salaire mensuel unique n’est pas pour demain, mais la pression sociétale pousse les entreprises à repenser leur modèle. Le versement flexible pourrait bien devenir, à moyen terme, un nouvel avantage salarial stratégique dans un marché du travail en mutation.





