C’est un tournant symbolique pour le commerce hexagonal. L’arrivée prochaine des boutiques Shein en province, annoncée pour novembre, met un terme définitif à la collaboration entre la Société des Grands Magasins (SGM) et les Galeries Lafayette. Ce partenariat, né en 2021, concernait sept enseignes régionales — Angers, Dijon, Grenoble, Le Mans, Limoges, Orléans et Reims — qui vont bientôt changer d’identité commerciale.
Selon un communiqué commun, les deux groupes ont décidé de rompre leurs contrats d’affiliation, évoquant une « divergence stratégique ». Derrière cette expression diplomatique, se cache un clash de modèles économiques et de valeurs : d’un côté, les Galeries Lafayette défendent un positionnement premium et responsable ; de l’autre, la SGM mise sur Shein, symbole mondial de la fast fashion à bas coûts.
💥 Un vrai choc de stratégies
Un désaccord à la fois éthique et économique
La décision de la SGM d’accueillir Shein au BHV Marais à Paris et dans plusieurs magasins de province a provoqué une réaction immédiate du groupe Galeries Lafayette, qui a dénoncé le « positionnement » et « les pratiques » de la marque chinoise, jugées « incompatibles avec [ses] valeurs ».
Shein, fondée en 2012 en Chine et désormais basée à Singapour, s’est imposée comme un géant du commerce numérique, valorisé à plus de 60 milliards de dollars, grâce à un modèle économique fondé sur une production ultra-flexible et des prix imbattables.
Mais ce modèle, décrit par Le Figaro comme une « disruption brutale du retail traditionnel », s’accompagne d’un coût réputationnel élevé : accusations de pollution, conditions de travail douteuses, et enquête judiciaire en France pour vente de produits illicites. Une accumulation qui fragilise sa légitimité auprès des acteurs historiques du secteur.
Pour la SGM, l’enjeu est avant tout financier. Son cofondateur Frédéric Merlin cherche à redynamiser des magasins régionaux fragilisés par la baisse de fréquentation post-Covid. Miser sur Shein, c’est parier sur un flux client massif et une visibilité immédiate. Mais ce choix stratégique, à court terme, risque de dégrader la valeur de marque des sites concernés, jusqu’ici associés à l’image premium des Galeries Lafayette.
Les sept points de vente gérés par la SGM devraient être rebaptisés sous une nouvelle enseigne, potentiellement BHV, selon plusieurs sources proches du dossier citées par Le Figaro. Les discussions sont encore en cours, mais la séparation actée sera progressive, « selon un calendrier ajusté dans les prochaines semaines ».
Pour Nathalie Koenders, maire de Dijon, cette évolution soulève aussi des questions politiques : « L’installation de Shein dans notre ville interroge le rôle du législateur et des institutions européennes », a-t-elle déclaré dans un communiqué, soulignant les risques sociaux et environnementaux associés au modèle asiatique.
👁️ L’œil de l’expert : séisme pour le retail français
La fin de ce partenariat illustre un réalignement structurel du commerce français entre rentabilité court terme et durabilité économique. Les enseignes historiques comme Galeries Lafayette cherchent à défendre leur image patrimoniale et leur capital immatériel, tandis que de nouveaux acteurs comme Shein imposent une logique de volume et de vitesse.
Pour la Société des Grands Magasins, le pari Shein pourrait se révéler rentable à court terme, mais risqué à long terme : dépendance à un modèle contesté, volatilité de la clientèle et exposition réputationnelle accrue.
En revanche, pour Galeries Lafayette, cette rupture permet de clarifier son ADN de marque et de préserver la cohérence de son positionnement sur le segment du retail premium durable.
Le commerce français entre donc dans une nouvelle ère de fracture économique : celle où la question n’est plus seulement de vendre, mais de choisir entre croissance immédiate et crédibilité durable.





