Contradiction à la française : alors que la fast fashion est de plus en plus pointée du doigt pour son impact écologique et social, près d’un quart des Français continuent d’y acheter. Un sondage Ipsos BVA, dévoilé ce jeudi, révèle un écart croissant entre les convictions environnementales affichées et les comportements d’achat réels. Malgré une image ternie et une contestation politique grandissante, Shein et Temu séduisent encore, surtout les jeunes, par leur prix imbattable dans un contexte d’inflation persistante et de pouvoir d’achat sous pression.
🧾 Le paradoxe de la fast fashion : rejetée, mais indispensable
Selon l’étude menée auprès de 1 000 personnes, 98 % des Français connaissent Shein, mais près d’un sur deux (48 %) en a une mauvaise opinion. Une majorité la juge polluante, peu éthique et synonyme de qualité médiocre. Pourtant, dans les faits, 26 % des Français ont acheté au moins un produit Shein ou Temu au cours des six derniers mois.
Cette dissonance entre valeurs et achats illustre un phénomène économique profond : le prix demeure le critère dominant, cité par 62 % des sondés, loin devant la durabilité (32 %).
Je suis pauvre, pas inconsciente
confiait au Figaro Sarah, 28 ans, au chômage, expliquant continuer d’acheter sur Shein malgré ses doutes éthiques.
Ce témoignage illustre la tension entre contrainte budgétaire et conscience écologique. Avec près d’un Français sur deux dépensant moins de 50 euros par mois pour ses vêtements, l’accès à une mode plus durable reste perçu comme un luxe inaccessible.
Dans ce contexte, les géants du textile à bas coût — Zara, H&M, Kiabi, Shein et désormais Temu — occupent un rôle quasi structurel dans l’économie de la consommation populaire. Près de 49 % des Français ont acheté des produits issus de la fast fashion ces derniers mois. Les enseignes de supermarché (13 %) et les marques haut de gamme (11 %) apparaissent, elles, comme des alternatives marginales.
🏬 Symboles d’un choc culturel et économique
L’annonce de l’ouverture prochaine d’un corner Shein au BHV à Paris, en plein cœur du Marais, a mis le feu aux poudres. Des salariés en grève, des manifestations et une opinion publique divisée : 52 % des Français se disent opposés à l’installation du géant chinois, selon Ipsos BVA.
Pour 69 % des sondés, il est nécessaire de freiner l’expansion des plateformes chinoises en Europe, jugées injustement compétitives face aux acteurs traditionnels soumis à des normes plus strictes.
On sait que c’est de la mauvaise qualité, mais pour le prix, on prend
résumait une cliente interrogée par Le Figaro lors d’un pop-up store parisien de Shein. Cet engouement malgré la polémique illustre la force du modèle économique ultra-low cost, fondé sur la rotation rapide des collections et la production de masse. Pour Shein et Temu, l’ouverture physique en Europe marque une nouvelle phase de conquête : transformer la notoriété numérique en présence tangible et durable dans les centres urbains.
Mais le débat dépasse la simple consommation : il interroge les limites de la mondialisation du commerce en ligne et la capacité de la France à défendre une mode plus responsable. Car si les plateformes de seconde main comme Vinted gagnent du terrain, seules 3 % des personnes interrogées achètent exclusivement de l’occasion — un chiffre révélateur du fossé entre discours vertueux et pratiques réelles.
👁️ L’œil de l’expert : le miroir d’une société
Shein et Temu ne sont pas seulement des marques de vêtements : ce sont des indicateurs du climat économique français. Leur succès traduit la fragilité du pouvoir d’achat, mais aussi la montée du consumérisme low cost dans un contexte d’incertitude financière.
Leur modèle, fondé sur la production délocalisée, la réactivité logistique et les prix planchers, bouleverse les chaînes de valeur traditionnelles. Mais il repose aussi sur des risques croissants : pression réglementaire, durcissement des politiques européennes sur la durabilité, et image de marque dégradée à long terme.
Pour les acteurs du textile européen, le défi sera de réconcilier compétitivité et responsabilité, tout en s’adaptant à des consommateurs à la fois économes et exigeants. La fast fashion, loin de disparaître, est donc appelée à évoluer : moins d’opulence, plus de transparence, mais toujours le même impératif économique — vendre vite, beaucoup et pas cher.