Un été record qui rebat les cartes du ferroviaire français. L’été 2025 aura marqué un tournant pour la SNCF. Portée par des conditions favorables – ponts du 14 juillet et du 15 août, regain des déplacements professionnels et attractivité croissante du train face à l’avion – l’entreprise publique a enregistré plus de 25 millions de passagers sur ses grandes lignes TGV et Intercités. Un chiffre inédit qui illustre à la fois la vitalité du marché et les nouveaux défis que pose l’ouverture à la concurrence.
« Il y a un appétit de trains », a souligné Christophe Fanichet, PDG de SNCF Voyageurs, ajoutant qu’« un TGV sur trois était complet » au cours de l’été. Mais derrière ce succès chiffré, c’est un modèle économique en pleine mutation qui se dessine, entre pressions tarifaires, diversification des offres et enjeux régionaux stratégiques.
📈 Croissance et mutation de la demande
La fréquentation estivale s’est envolée, tirée par des flux à double moteur : tourisme et voyages d’affaires. Alors que les JO de 2024 avaient bouleversé les équilibres, le retour des déplacements professionnels vers Paris a bondi de +16 %, consolidant le rôle de la capitale comme nœud économique.
Les axes historiques (Paris–Marseille, façade Atlantique, littoral méditerranéen) restent des locomotives de croissance, mais de nouveaux pôles émergent. La montée en puissance des Alpes illustre l’élargissement du champ concurrentiel et la capacité de la SNCF à capter des flux diversifiés.
Ce dynamisme se retrouve aussi sur les TER (+4 % en moyenne), particulièrement sur la Côte d’Azur, où l’offre a bondi de +75 % grâce à un appel d’offres stratégique remporté par la SNCF. Cette expansion illustre une logique d’effet volume, indispensable pour compenser la baisse progressive des marges unitaires.
🚄 Une concurrence qui bouscule les équilibres
Depuis l’entrée en scène de Trenitalia fin juin sur l’axe Paris–Marseille, la bataille commerciale s’est intensifiée. La SNCF a vu ses réservations croître de +9 %, signe que la compétition stimule la demande. Mais cette guerre des parts de marché s’accompagne de risques : pression sur les prix et nécessité d’investir massivement dans l’innovation et la qualité de service.
En région PACA, l’arrivée de Transdev sur Nice–Marseille confirme que la concurrence ne se limite plus aux grandes lignes nationales mais touche aussi les marchés régionaux. L’attribution prochaine d’un troisième lot ferroviaire maintient l’incertitude, mais témoigne surtout d’un basculement structurel : l’ère du monopole total est révolue.
Pour Christophe Fanichet, la solution réside dans la centralisation technologique : l’application SNCF Connect restera le guichet unique pour l’achat de billets, même pour les lignes exploitées par des concurrents. Une manière de préserver l’ancrage commercial tout en affichant une continuité territoriale.
🚆 Tarifs en baisse et essor du low cost
La transformation la plus visible concerne les prix. Sur Paris–Lyon, où plusieurs opérateurs s’affrontent depuis 2021, les tarifs ont chuté en moyenne de 10 %. Cette baisse bénéficie aux usagers, mais questionne la rentabilité à long terme.
La SNCF a choisi d’anticiper en misant sur le low cost :
D’ici à 2030, un TGV sur trois sera un Ouigo
a annoncé Christophe Fanichet. Cette stratégie repose sur un modèle de volumétrie – multiplier les passagers pour compenser la contraction des marges. Parallèlement, la réduction du nombre de rames Inoui témoigne d’une optimisation des ressources face à une clientèle de plus en plus sensible aux prix.
Dans un contexte où l’Europe cherche à réduire ses émissions de CO₂, cette dynamique pourrait renforcer l’attractivité du rail par rapport à l’aérien. Mais elle impose aussi de trouver un équilibre entre démocratisation de l’accès et pérennité financière des opérateurs.
👁 L’œil de l’expert
La performance estivale de la SNCF illustre un double paradoxe : jamais le train n’a été aussi plébiscité, mais jamais son modèle économique n’a été autant challengé. L’ouverture à la concurrence, loin d’être une menace, agit comme un catalyseur d’innovation et de baisse des prix. Toutefois, l’essor du low cost pose une question centrale : la SNCF peut-elle durablement concilier volume, rentabilité et qualité de service ?
L’avenir du ferroviaire français se jouera sur trois leviers : investissements technologiques, équilibre tarifaire et capacité à conserver une vision nationale dans un marché désormais fragmenté.