Un séisme se prépare dans le paysage des télécoms français. Bouygues Telecom, Iliad (maison mère de Free) et Orange ont annoncé conjointement, mardi 14 octobre, avoir déposé une offre non engageante pour racheter la quasi-totalité des actifs de SFR, valorisés à 17 milliards d’euros.
Cette opération historique, qui verrait les trois opérateurs se partager les activités du groupe détenu par Altice France, pourrait bouleverser durablement l’équilibre du marché national. Derrière cette manœuvre stratégique, se cache autant un enjeu industriel qu’un pari financier majeur, alors qu’Altice cherche à alléger une dette colossale qui s’élève encore à 15,5 milliards d’euros.
💰 Un partage pour consolider le marché
Selon les informations dévoilées dans le communiqué commun, Bouygues Telecom récupérerait 43 % des actifs, Iliad en prendrait 30 %, tandis qu’Orange s’octroierait les 27 % restants. Ce découpage minutieux permettrait aux trois acteurs de renforcer leurs positions respectives tout en garantissant la continuité de service pour les clients de SFR.
Cette offre marque une première étape non contraignante, mais elle traduit une volonté claire : réorganiser un secteur arrivé à maturité, où la concurrence féroce et la pression sur les marges freinent les investissements.
Les opérateurs soulignent d’ailleurs que cette opération « permettrait de renforcer les investissements dans la résilience des réseaux très haut débit, dans la cybersécurité, mais aussi dans les nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle », peut-on lire dans le communiqué commun.
Cette alliance inédite entre trois rivaux historiques illustre aussi une mutation profonde du marché.
Les opérations en lien avec les entreprises reviendraient à Bouygues Telecom et Iliad, tandis que les activités orientées clients particuliers, les infrastructures, et les fréquences seraient réparties entre les trois groupes.
Enfin, le réseau mobile de SFR en zone rurale et peu dense serait exclusivement confié à Bouygues Telecom, déjà très implanté dans ces territoires.
Cette manœuvre pourrait ainsi rééquilibrer les forces dans les télécoms, secteur où les investissements massifs dans la 5G, la fibre optique et les services de données pèsent lourdement sur les bilans financiers.
⚙️ Une restructuration à hauts risques
Pour Altice France, cette offre de rachat arrive à un moment critique.
Le groupe, qui a déjà procédé à une restructuration financière majeure pour réduire sa dette de 24 à 15,5 milliards d’euros, cherche à désendetter sa maison mère tout en préservant son cœur d’activité.
Mais la cession de la majorité des actifs de SFR représenterait un désengagement sans précédent, dont les conséquences économiques et sociales restent incertaines.
L’opération exclut toutefois plusieurs filiales stratégiques : Intelcia, UltraEdge, XP Fibre et Altice Technical Services, ainsi que les activités outre-mer du groupe.
Une fois validée par le vendeur, l’offre devra encore passer l’épreuve du contrôle des autorités de la concurrence et celle de la consultation des représentants du personnel, deux étapes cruciales qui pourraient ralentir, voire bloquer, le processus.
En toile de fond, cette reconfiguration du marché pourrait marquer le plus grand bouleversement du secteur depuis l’arrivée de Free en 2012, qui avait fait chuter les prix et redéfini les équilibres économiques.
Aujourd’hui, c’est la survie financière d’Altice qui est en jeu, face à la pression croissante de ses créanciers et à la nécessité de restructurer un modèle fragilisé par la dette.
👁️ L’œil de l’expert : une consolidation inévitable mais complexe
Selon plusieurs analystes du secteur, cette opération de partage de SFR pourrait être « le premier pas vers une consolidation attendue depuis des années ».
Le marché français compte encore trop d’acteurs pour sa taille. Une mutualisation partielle des actifs permettrait d’alléger les coûts d’exploitation et de relancer l’investissement dans la 5G et la fibre.
rappelle Thierry Millon, économiste du cabinet Altares.
Mais cette stratégie n’est pas sans risque. Elle pose la question de la concurrence réelle et du maintien d’une offre accessible pour les consommateurs.
Sur le plan financier, Bouygues, Iliad et Orange devront aussi absorber une charge d’investissement considérable, dans un contexte de hausse des taux d’intérêt et de ralentissement économique.
En clair, si cette opération venait à se concrétiser, elle pourrait marquer le début d’un nouveau cycle de consolidation dans les télécoms français, avec à la clé un renforcement des grands groupes… mais aussi une reconfiguration complète des rapports de force économiques dans un secteur stratégique pour la souveraineté numérique de la France.