Longtemps considéré comme le royaume numérique des adolescents, TikTok est en train de réussir un virage générationnel inattendu. En 2025, près de 30 % des 45-54 ans utilisent régulièrement l’application chinoise. Mais que viennent chercher ces “darons” sur une appli pensée pour les plus jeunes ? À travers témoignages et éclairages tirés d’un article paru sur Ouest-France, immersion dans une mutation digitale aux répercussions sociales, économiques et culturelles.
🎯 Un public inattendu, mais fidèle
Dans les gares, les transports ou à la pause déjeuner, ils sont nombreux à « scroller » frénétiquement leur fil TikTok : des utilisateurs de 45 à 60 ans, souvent venus pour « tester » et restés pour « s’évader« .
Selon le sociologue Jérôme Pacouret, auteur d’une étude présentée à l’Assemblée nationale, 30 % des 45-54 ans utilisent TikTok au moins une fois par semaine. Un chiffre qui, malgré l’opacité des données officielles de ByteDance, confirme une tendance de fond.
C’est mon moment à moi
confie Cédrine, 46 ans, secrétaire dans un lycée de la Loire. Ce moment, c’est celui du soir, une heure quotidienne à consommer des vidéos de danse, d’humour ou d’actualité locale. Pour beaucoup, TikTok remplace Facebook ou Instagram, jugés vieillissants.
Autre motif fréquent de venue ? Les enfants. Comme Elisabeth, 57 ans, qui découvre TikTok par ses adolescents et finit par s’y connecter « une à deux heures par jour« . Ce rituel devient une « bulle« , une manière de se déconnecter du réel tout en restant ultra-connectée.
📉 Entre addiction et opportunités
Derrière cette adoption massive se cache une réalité psychologique et économique : TikTok capte une ressource rare — le temps — avec une efficacité redoutable. Le format court, le scroll infini, l’intelligence de l’algorithme : tout est pensé pour retenir l’utilisateur.
C’est comme arrêter la cigarette
décrit Sandrine, 52 ans, qui avait désinstallé l’application… avant de la réinstaller après qu’une vidéo virale de son fils ait attisé sa curiosité. Ce retour l’a même propulsée au rang d’influenceuse malgré elle :
Quand je vais sur TikTok, j’ai l’impression de rajeunir.
L’économie de l’attention vit ici son apogée. Des profils comme Guillaume, 43 ans, directeur de création à Lille, consomment jusqu’à trois heures par jour de “shorts” sur YouTube. Il l’admet : « Ça te mange ton temps sans que tu le voies. » Ces comportements, multipliés par millions, représentent une manne pour les plateformes… et un défi de santé publique.
📉 Un enjeu économique… mais aussi générationnel
Si les jeunes restent moteurs des tendances, les plus de 40 ans représentent une cible stratégique à conquérir. Leur pouvoir d’achat, leur fidélité à une plateforme et leur présence croissante modifient la cartographie des influenceurs et des formats.
TikTok a su capter ces “daronnes” et “darons” grâce à la simplicité de son interface (une vidéo s’ouvre dès le lancement), la variété des contenus (animaux, cuisine, psychologie, humour), et une personnalisation algorithmique redoutable. Stéphanie, 51 ans, consommatrice avertie, résume :
Je me dis que je vais regarder deux vidéos… une heure plus tard, j’y suis encore.
Ce public « silver » apporte aussi une légitimité nouvelle à TikTok, perçu désormais comme un canal multi-générationnel, et non plus un simple outil de danse ou de challenges pour ados.
👁️ L’œil de l’expert : une mutation à double tranchant
L’entrée massive des adultes sur TikTok est un signal fort de la transformation numérique de notre société : les frontières entre les générations s’estompent sur les écrans. Mais attention à l’illusion de légèreté. L’algorithme de TikTok ne divertit pas seulement — il capte, oriente, et modèle des comportements.
En 2025, la véritable bataille n’est plus celle de la présence en ligne, mais celle du contrôle de l’attention. Et pour l’instant, TikTok a plusieurs longueurs d’avance.