Alors qu’ils sont devenus un outil quasi incontournable dans la restauration et la distribution alimentaire, les titres-restaurant cristallisent une tension grandissante entre petits commerçants et émetteurs. En cause : des commissions jugées excessives, que dénoncent de nombreux professionnels. Selon une enquête révélée par Ouest-France, plus de 3 commerçants sur 10 auraient déjà refusé les titres-restaurant à cause de ces frais, tandis que près de 9 sur 10 envisagent de s’en passer. Sur fond de réforme gouvernementale et de rapports de force économiques, le débat prend une tournure de plus en plus critique.
📉 Une menace pour la trésorerie des commerçants
Dans une étude coordonnée par Viavoice pour le Collectif pour le Rééquilibrage des Commissions Titre-Restaurant (CoReCT), 99 % des commerçants interrogés jugent les commissions actuelles « trop » ou « plutôt élevées« . Ces frais, estimés en moyenne à 4,5 % par transaction, grèvent sérieusement la rentabilité des établissements de restauration et d’alimentation, qui voient leur marge fondre à mesure que les paiements dématérialisés progressent.
Le collectif CoReCT, qui rassemble des acteurs émergents comme Lucca, Worklife, Contakt, Coup de pousse et Ekip, pointe du doigt la domination de quatre géants du secteur — Swile (ex-Bimpli), Edenred, Pluxee et UpCoop — qui concentrent 99 % du marché. Leur position dominante leur permettrait d’imposer des conditions tarifaires jugées abusives, en l’absence de régulation contraignante.
Face à cette situation, 34 % des commerçants ont déjà refusé les titres-restaurant, et 55 % y songent sérieusement. La solution avancée par CoReCT ? Plafonner les commissions à 2,5 %, soit presque la moitié des niveaux actuels. Une mesure qui permettrait, selon eux, de réintroduire une concurrence saine et conforme aux recommandations de l’Autorité de la concurrence, qui plaidait en 2023 pour une tarification plus « transparente et lisible ».
⚖️ Un arbitrage de plus en plus serré
Dans ce climat tendu, Véronique Louwagie, ministre du Commerce, a préféré temporiser. Dans son plan de réforme en 12 points, elle fait la part belle aux consommateurs — avec notamment le maintien de l’utilisation libre en grande surface et d’un plafond unique de 25 € par jour. Toutefois, elle n’ignore pas les enjeux financiers côté commerçants :
Je me préoccupe du niveau des commissions qui pèsent sur leur trésorerie
a-t-elle déclaré à Ouest-France.
La ministre a ainsi engagé les émetteurs à négocier avec les commerçants avant l’automne, pour convenir d’une baisse progressive. Passé ce délai, elle avertit :
Je n’hésiterai pas à proposer des mesures drastiques
Des outils sont d’ores et déjà dans les cartons : interdiction des remises de fin d’année, transfert de l’habilitation des émetteurs à la Banque de France (au lieu de la CNTR dissoute), ou encore charte de transparence obligatoire.
Mais l’impact économique réel d’une baisse des commissions reste sujet à débat. Franck Chaumès, de l’UMIH, tempère :
Une baisse d’un point de commission représente 1 000 à 1 100 € d’économie par an en moyenne. Ce n’est pas cela qui va sauver la restauration.
De leur côté, les émetteurs historiques gardent le silence médiatique, rappelant qu’ils soutiennent la profession (notamment sur le double plafond), tout en contestant la légitimité du CoReCT, qui ne représenterait que 0,2 % du marché.
👁️ L’œil de l’expert : situation intenable
Cette crise illustre les limites d’un système de paiement hybride, pris en étau entre modernisation, profits et équité commerciale. Si les titres-restaurant demeurent un levier puissant pour le pouvoir d’achat, leur modèle économique repose aujourd’hui sur des bases contestées. Le rééquilibrage des commissions pourrait à la fois restaurer la marge des indépendants et ouvrir la voie à une véritable concurrence, à condition d’être encadré de manière ferme.
Dans un marché de plus en plus numérisé, où les coûts de traitement chutent, maintenir des commissions proches de 5 % apparaît difficilement justifiable économiquement. Il ne s’agit plus seulement de préserver la trésorerie des commerçants, mais aussi d’assurer une répartition équitable de la valeur, dans un secteur aussi stratégique pour la consommation des ménages. La rentrée pourrait bien être décisive.