Le virage technologique masque un choc humain majeur. À l’heure où la filière automobile française tente de se réinventer autour de l’électrique et de la décarbonation, un autre sujet monte en puissance : celui de l’emploi. Selon une étude de l’EDEC (Engagement de développement de l’emploi et des compétences), dévoilée jeudi dernier, le secteur pourrait perdre jusqu’à 22,7 % de ses effectifs d’ici 2035, soit près de 75 000 postes supprimés.
Si l’industrie évolue, c’est aussi parce qu’elle se déleste : entre robotisation, contraction de la production nationale et bascule vers le véhicule électrique, les effets conjugués de ces mutations dessinent un scénario de transformation brutale, dans lequel la technologie ne compense pas (encore) les pertes humaines.
Moins de voitures, plus de machines : la pression productive s’intensifie
Le cœur du problème est arithmétique : moins de véhicules produits en France = moins d’emplois industriels. L’étude commandée par l’EDEC estime que la baisse de la production nationale est l’un des principaux moteurs du recul, touchant aussi bien les constructeurs que les équipementiers et leurs sous-traitants.
Autre facteur aggravant : l’automatisation croissante des chaînes de montage. Elle permet d’améliorer la productivité, mais remplace massivement les ouvriers et techniciens, piliers traditionnels du tissu industriel. Résultat : un recul prévisionnel de 17 % des effectifs d’ici 2035, qui pourrait atteindre 22,7 % en net si l’on exclut les créations d’emplois attendues dans la filière batteries (estimées à 19 000 postes). L’étude explique :
La montée du véhicule électrique joue un rôle majeur dans cette dynamique. Contrairement aux modèles thermiques, les véhicules zéro émission nécessitent moins de composants, notamment en métal ou caoutchouc, et sont moins intensifs en main-d’œuvre à l’assemblage
Les équipementiers en première ligne, les ingénieurs en embuscade
La déflagration sociale ne sera pas homogène. Les plus touchés ? Les équipementiers, qui pourraient perdre jusqu’à 30 % de leurs effectifs. En cause :
- la concurrence asiatique, notamment chinoise,
- la réintégration par les constructeurs de certaines lignes de production,
- une pression constante sur les marges qui pousse les acteurs à geler recrutements et remplacements.
La structure de l’emploi, elle aussi, se transforme en profondeur. La part des ouvriers reste majoritaire, mais recule lentement, au profit de profils plus qualifiés. Les besoins en ingénieurs, techniciens supérieurs, data analysts ou cadres industriels progressent, en lien avec les exigences de l’électrification, de l’automatisation et de la connectivité des véhicules.
À l’inverse, les fonctions administratives et support tendent à s’effacer, dans un contexte d’optimisation continue des structures. On assiste à une polarisation des métiers : la main-d’œuvre la moins qualifiée se fragilise, tandis que les compétences technologiques deviennent la nouvelle monnaie d’échange du secteur.
️ L’œil de l’expert : le progrès vs l’emploi…
Le secteur automobile français vit un paradoxe industriel. Alors qu’il entre dans une ère technologique inédite, il subit une érosion d’emplois qui n’est ni ponctuelle, ni périphérique. La transition énergétique, souvent brandie comme vecteur d’innovation, agit aussi comme un accélérateur de décomposition sociale, notamment chez les sous-traitants.
La transformation digitale ne suffira pas à sauver les emplois historiques si elle n’est pas accompagnée d’une politique industrielle ambitieuse, ciblant la formation, la relocalisation intelligente et la montée en gamme technologique.
Le défi est clair : éviter que la modernisation n’entraîne une dévitalisation du tissu social.