C’est une facture salée que les femmes règlent, année après année, dans une indifférence budgétaire quasi totale. Une analyse publiée ce 12 juin par la Fondation des femmes jette une lumière crue sur le coût invisible de la séniorité au féminin : entre 40 et 60 ans, une femme salariée perçoit en moyenne 7.862 euros de moins par an qu’un homme du même âge. Sur vingt ans, l’addition grimpe à plus de 157.000 euros de perte de revenus. Derrière ces chiffres se cache une réalité économique structurante mais peu débattue : les mécanismes d’âgisme, de sexisme économique et d’invisibilisation du travail non rémunéré continuent de creuser les inégalités à la veille de la retraite. Décryptage d’un déséquilibre budgétaire majeur.
Une spirale d’inégalités à forte incidence financière
Les données compilées par la Fondation des femmes à partir des statistiques de l’Insee révèlent une mécanique aussi constante qu’injuste. À 40 ans, une salariée française touche en moyenne 22.830 euros annuels, contre 29.710 euros pour un homme. Vingt ans plus tard, à 60 ans, son revenu chute légèrement à 21.410 euros, pendant que celui d’un homme reste stable à 29.430 euros. Résultat : une perte cumulée de 157.245 euros sur deux décennies. Et ce chiffre atteint même 159.000 euros dans le secteur privé, où les écarts sont plus marqués.
Pour Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, ces écarts ne relèvent pas d’une simple discrimination directe mais d’un enchevêtrement de facteurs systémiques. Elle explique à l’AFP :
Les femmes occupent davantage des métiers du soin, peu valorisés financièrement ; elles connaissent moins de progression de carrière et doivent gérer des aléas comme la santé, le divorce ou le rôle d’aidante
Ce déficit d’évolution salariale et de reconnaissance professionnelle n’est pas qu’un problème moral : c’est une anomalie économique, qui affaiblit la base fiscale, réduit les capacités d’épargne des ménages et creuse l’écart de richesse au moment de la retraite. Les femmes supportent une double peine : une rémunération plus faible et un capital accumulé moindre, rendant leur stabilité financière bien plus vulnérable à l’approche de la vieillesse.
Maternité, ménopause, aidance : les angles morts du système
L’étude souligne également l’impact budgétaire du travail non rémunéré que les femmes continuent d’assumer massivement. Chaque semaine, elles consacrent 23 millions d’heures à la garde d’enfants sans contrepartie financière. Ces heures, invisibilisées par le système économique, freinent leur carrière, limitent leur disponibilité pour les promotions et réduisent leur capacité à cotiser pour la retraite.
Autre levier silencieux mais puissant : la santé féminine à partir de 45 ans. La ménopause, par exemple, affecte la qualité de vie de 87 % des femmes, mais reste un sujet marginalisé par les entreprises et les médecins du travail. Une situation que la Fondation qualifie de « santé dégradée et passée sous silence ». Ce déficit de reconnaissance contribue à l’éviction lente mais structurelle des femmes du cœur du marché du travail, à un moment où l’expertise et l’expérience devraient être valorisées.
Résultat : à l’heure de la retraite, trois quarts des personnes vivant avec moins de 1.000 euros par mois sont des femmes. Pour corriger cette asymétrie, la Fondation des femmes propose plusieurs leviers budgétaires :
- une « majoration aidance », sur le modèle des trimestres maternité,
- la reconnaissance de la pénibilité dans les métiers féminins,
- et la création de congés spécifiques pour les grands-parents et aidants familiaux.
L’œil de l’expert : une dette économique bien silencieuse
Ce que révèle ce rapport, c’est la dette structurelle que notre économie contracte à l’égard des femmes âgées. En refusant de reconnaître et de rémunérer équitablement les carrières féminines, le système prive l’économie de milliards d’euros de richesse redistribuable, et fragilise un pilier majeur du pouvoir d’achat des ménages. La séniorité féminine, loin d’être un atout reconnu, reste un angle mort budgétaire.
À l’heure où les politiques de pouvoir d’achat et de réforme des retraites se multiplient, ignorer le coût différencié du vieillissement professionnel entre hommes et femmes revient à construire un système déficient par nature. Pour être durable, une politique économique ne peut plus faire l’impasse sur cette inégalité aussi silencieuse que ruineuse.