Chaque été, le Tour de France ne fait pas que traverser les routes : il redessine les lignes budgétaires des collectivités. Pour décrocher une arrivée ou un départ d’étape, les municipalités doivent signer un véritable chèque en blanc – un investissement parfois vertigineux pour un jour de visibilité. Pourtant, malgré une inflation des coûts et des bénéfices parfois difficiles à quantifier, les candidatures ne faiblissent pas. Pourquoi cette ferveur persiste-t-elle ? Quels sont les véritables leviers financiers et économiques derrière l’événement cycliste le plus regardé au monde ? Décryptage.
Combien coûte vraiment une étape ?
Avant même que le peloton ne pose une roue en ville, les collectivités doivent franchir un premier obstacle : les droits d’entrée. Ces sommes forfaitaires, versées à Amaury Sport Organisation (ASO), ouvrent simplement les portes de la Grande Boucle :
- Départ : environ 80 000 €
- Arrivée : autour de 120 000 €
- Combo départ + arrivée : jusqu’à 160 000 €
Mais ces chiffres ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Derrière ces montants se cache un second niveau de dépenses, beaucoup plus lourd : la logistique locale. Entre les travaux de voirie, les dispositifs de sécurité, la signalisation spécifique, l’accueil des équipes techniques et médiatiques, la facture grimpe vite.
Exemple marquant : En 2019, la ville d’Albi a dépensé près d’un demi-million d’euros pour héberger une étape d’arrivée, une journée de repos, puis un départ. Et ce sans compter les ressources humaines mobilisées en interne ou les coûts de fonctionnement annexes.
Comme l’expliquait un élu local sous couvert d’anonymat :
On ne paie pas seulement un événement sportif, on achète du symbole, du prestige, une place dans l’actualité nationale.
Un pari sur le retour sur investissement local
Alors, pourquoi tant de villes se battent-elles pour accueillir une étape, malgré une rentabilité incertaine ? Parce qu’en matière d’image et d’économie locale, le Tour est un formidable accélérateur de flux.
Entre 40 000 et 100 000 visiteurs affluent en moyenne dans une ville-étape : caravane publicitaire, journalistes, équipes, touristes… Cet afflux se traduit immédiatement dans les caisses :
- Hôtels pleins parfois des jours avant l’étape
- Restaurants qui doublent leur chiffre d’affaires
- Commerces de proximité en surchauffe
- Stations-service et parkings saturés
À Gap, en 2018, les retombées locales ont été estimées à plus de 3 millions d’euros pour deux jours de présence du Tour. Le ratio investissement / bénéfices peut atteindre 1 pour 10, selon les estimations d’ASO. Une rentabilité difficilement atteignable avec n’importe quelle autre manifestation.
Mais l’impact le plus durable n’est pas toujours monétaire.
Un levier d’image mondiale à haute valeur ajoutée
Dans l’économie de l’attention, la visibilité internationale est un bien précieux. Le Tour de France est retransmis dans plus de 190 pays, avec des audiences cumulées évaluées à 3,5 milliards de téléspectateurs. Une aubaine pour les villes moyennes qui cherchent à rayonner au-delà de leur bassin régional.
Plans aériens, images de drones, commentaires enthousiastes : la ville-étape devient l’héroïne d’un storytelling mondial, l’espace de 30 minutes à deux heures de diffusion. Une campagne de communication équivalente coûterait plusieurs millions d’euros en publicité télévisée.
François Bayrou, maire de Pau, ne s’y trompait pas en 2022 :
Aucun budget de communication ne permettrait d’acheter une telle exposition.
Outre l’image, les villes utilisent souvent le Tour pour valoriser leurs projets urbains (mobilité, écologie, tourisme vert) et renforcer leur attractivité territoriale. Ce “bonus d’image” est aussi un outil politique : séduire les investisseurs, relancer le tourisme, voire réengager la population autour d’un événement fédérateur.
L’œil de l’expert : une opération rentable… mais pas automatique
Le Tour de France n’est pas un événement “clé en main”. Il devient un levier stratégique uniquement si la ville s’inscrit dans une logique de long terme. Autrement dit : sans stratégie post-événement, la visibilité s’éteint aussi vite qu’elle est apparue.
Ceux qui en tirent profit ? Les territoires qui planifient le Tour comme un outil de marketing territorial intégré : mobilisation des habitants, campagnes touristiques couplées, communication institutionnelle renforcée.
Le Tour, ce n’est pas juste une fête populaire : c’est un investissement structurant, à condition de savoir en exploiter chaque facette, bien au-delà de la simple journée d’étape.