Alors que près d’un service à domicile sur deux échappe aux radars fiscaux, le gouvernement réfléchit à revoir l’une des niches fiscales les plus populaires de France. Ce débat, à première vue technique, masque une véritable tension économique : faut-il préserver un dispositif coûteux mais incitatif, ou risquer de relancer le travail dissimulé en le rabotant ? Entre ménages fragilisés, salariés précaires et finances publiques sous pression, la question dépasse largement le simple cadre budgétaire.
Un marché parallèle à 3 milliards d’euros
Selon le baromètre de Oui Care, acteur majeur des services à domicile, 48 % des prestations dans le ménage, la garde d’enfants ou l’aide aux personnes âgées ne sont pas déclarées. Ce marché noir, souvent ignoré des débats économiques, représente un manque à gagner colossal pour les finances publiques, mais aussi pour la protection sociale.
Ne pas déclarer, c’est du perdant-perdant. Le salarié perd ses droits sociaux, la collectivité perd des cotisations, et à terme, tout le monde paie la facture.
alerte Vincent Gath-Drezet, fiscaliste et porte-parole d’Attac, sur RMC Story.
La pratique reste pourtant répandue dans de nombreux foyers. Marion, interrogée par RMC, reconnaît payer sa femme de ménage en liquide depuis deux ans :
Si elle déclare ses revenus, elle perd ses aides. Donc on s’est arrangé. C’est plus simple.
Ce type d’accord « gagnant-gagnant » sur le papier est en réalité symptomatique d’un système qui pousse à l’informel. L’incitation à frauder reste forte dès que la transparence implique une perte d’avantage social ou une charge fiscale supplémentaire.
Crédit d’impôt : une arme coûteuse, mais efficace contre le travail dissimulé
Pour tenter d’assécher ce marché gris, l’État a depuis 2007 mis en place un crédit d’impôt de 50 % sur les services à la personne, jusqu’à un plafond de 6 000 euros par an. Le dispositif, plébiscité par les classes moyennes et supérieures, coûte aujourd’hui 6,5 milliards d’euros par an à l’État.
Mais cette « niche » pourrait bien être menacée dans le budget 2026. Plusieurs scénarios sont sur la table :
➡️ Réduction du taux de 50 %
➡️ Abaissement du plafond de dépenses éligibles
Si on touche au taux, les classes moyennes seront les plus touchées. En revanche, si on baisse uniquement le plafond, ce sont les plus aisés qui contribueront davantage
explique à RMC Vincent Gath-Drezet.
Le secteur s’inquiète : le crédit d’impôt a permis une forte décriminalisation du travail à domicile. À titre de comparaison, en Espagne, où aucun dispositif équivalent n’existe, le taux de travail non déclaré dans le ménage atteint 95 %, selon Brice Alzon, président de la Fédération des entreprises de services à la personne.
Le risque d’un retour massif au non-déclaré est donc réel. Les prestataires professionnels, qui embauchent en CDI, assurent une couverture sociale à leurs salariés et paient leurs cotisations, craignent une distorsion de concurrence avec les particuliers employeurs qui se tourneraient à nouveau vers le « black ».
L’œil de l’expert : le paradoxe à la française
Supprimer ou raboter la niche fiscale des services à domicile serait un pari à double tranchant. Certes, l’économie budgétaire immédiate est tentante dans un contexte de déficit public sous tension. Mais le coût indirect d’un retour du travail au noir – en cotisations perdues, en précarisation des travailleurs, en contentieux à venir – pourrait largement compenser le gain espéré.
Dans une économie où les marges de manœuvre fiscales sont réduites, les politiques doivent raisonner en rendement net, pas en économies brutes. Le crédit d’impôt sur les services à domicile, aussi imparfait soit-il, agit comme un amortisseur social et un levier d’emploi formel. Sa remise en cause mériterait une stratégie globale et non un simple ajustement comptable.