Un ex-patron de l’automobile à la tête d’un empire du luxe ? C’est le scénario inattendu qui secoue actuellement les marchés financiers. L’éventualité d’une nomination de Luca de Meo, ancien dirigeant de Renault, à la direction générale de Kering, a électrisé la Bourse de Paris. À peine évoquée, cette perspective a suffi à faire grimper le titre de près de 10 %, malgré l’absence de confirmation officielle du groupe.
Dans un contexte de turbulences pour Kering, cette hypothèse stratégique traduit une quête urgente de repositionnement économique, alors que les chiffres s’enfoncent trimestre après trimestre. Et pour cause : la locomotive Gucci déraille, mettant sous pression l’ensemble du portefeuille du groupe. Entre perte de valeur boursière et érosion des marges, la tentation de confier les commandes à un profil externe à l’univers du luxe prend des airs de pari… ou de nécessité.
Kering : un empire en déclin cherche son second souffle
Depuis plusieurs trimestres, les indicateurs économiques de Kering virent au rouge. En 2024, le chiffre d’affaires a plongé de 12 %, tombant à 17,19 milliards d’euros, tandis que le bénéfice net a dégringolé de 64 %, atteignant seulement 1,13 milliard d’euros. Et les premiers mois de 2025 n’annoncent aucun répit : les revenus du premier trimestre ont chuté à 3,88 milliards d’euros, soit une baisse de 14 %.
Cette spirale descendante s’explique en grande partie par les contre-performances de Gucci, qui pèse à elle seule 44 % du chiffre d’affaires et deux tiers de la rentabilité opérationnelle de Kering. Le recul de la marque italienne a provoqué une fonte de la valorisation boursière : le titre Kering a perdu 28 % depuis janvier 2025, et 78 % depuis son sommet de 2021, souligne la banque Bernstein.
Face à cette situation, François-Henri Pinault, PDG du groupe depuis 2005, envisage de dissocier ses fonctions de président et directeur général. Selon Challenges, il examine plusieurs pistes : deux profils internes, et une piste externe – Luca de Meo. Un choix symbolique fort, qui marquerait un virage de gestion dans une maison historiquement conservatrice sur ses nominations stratégiques.
De Renault à Gucci : le pari risqué d’un outsider industriel
Pour les analystes de RBC Capital Markets, l’arrivée de De Meo représenterait un changement de culture managériale profond.
En tant qu’outsider, il pourrait impulser une dynamique nouvelle et prendre des décisions difficiles là où les profils internes hésiteraient
analysent-ils. Il viendrait ainsi compléter une équipe de direction composée notamment de Francesca Bellettini, Jean-Marc Duplaix et Armelle Poulou, tous issus du sérail.
Mais si Luca de Meo a su redresser Renault – minée par les suites de l’affaire Ghosn et une organisation affaiblie – il n’a jamais évolué dans l’univers du luxe. Son expérience reste entièrement ancrée dans l’industrie automobile, un secteur certes exigeant en matière de repositionnement stratégique, mais très éloigné des logiques créatives, culturelles et symboliques qui dominent la mode haut de gamme.
Comme le rappelle Citi:
le redressement des marques de luxe est aujourd’hui plus complexe, plus long, plus coûteux et nettement moins favorable au marché qu’il ne l’a été auparavant
Ce scepticisme s’accentue dans un contexte où les décisions artistiques du groupe peinent à convaincre. En mars dernier, la nomination de Demna à la direction artistique de Gucci, en remplacement de Sabato De Sarno, a été fraîchement accueillie, illustrant la fébrilité créative du moment.
️ L’œil de l’expert : une transition sous haute pression
Le rebond boursier provoqué par la seule rumeur d’un changement de direction illustre une attente fébrile des investisseurs. Le profil de Luca de Meo rassure par sa capacité démontrée à stabiliser une entreprise en crise, mais son absence de légitimité dans l’univers du luxe pose une question de fond : peut-on redynamiser une marque de mode internationale avec des recettes issues de l’industrie lourde ?
Kering joue gros. Son virage stratégique, qu’il s’agisse d’un repositionnement marketing ou d’un renouvellement managérial, devra allier discipline financière et intuition créative. Sans cela, la perte de vitesse pourrait s’accentuer, dans un marché du luxe globalement plus volatile et fragmenté.