Alors que la crise énergétique continue de peser sur les ménages, un autre phénomène prend une ampleur alarmante : la fraude massive aux compteurs Linky. Enedis, gestionnaire du réseau électrique français, tire la sonnette d’alarme face à une explosion des manipulations frauduleuses. En trois ans, plus de 100 000 compteurs ont été trafiqués, selon Bertrand Boutteau, directeur des opérations de lutte contre la fraude. Un phénomène coûteux, mais surtout difficile à enrayer, aux conséquences financières lourdes pour l’ensemble du système énergétique .
L’économie souterraine de l’électricité
Les pratiques de dérivation, qui permettent de masquer jusqu’à deux tiers de la consommation réelle, ne sont plus anecdotiques. Selon Enedis, ces manipulations entraînent une perte annuelle équivalente à la consommation énergétique d’un département comme la Charente, soit plusieurs centaines de millions d’euros.
L’explosion des coûts de l’énergie depuis 2022 a catalysé ces actes délictueux, notamment chez les professionnels : chaînes de restauration, petits commerces ou particuliers. À Rueil-Malmaison, lors d’un contrôle, le technicien Damien a constaté qu’un restaurateur avait réduit artificiellement sa consommation de 85 kWh à 25 kWh par jour via un simple inversement de câblage. Ces gestes techniques, devenus viraux sur les réseaux sociaux, sont également commercialisés en ligne, avec des offres de « spécialistes » ou de faux scellés.
« C’est un véritable fléau », déclare Laurence Magliano, porte-parole d’Enedis. Ce fléau, Enedis compte bien le contenir avec une opération nationale de 121 contrôles simultanés et le doublement de ses effectifs assermentés d’ici 2026 (de 250 à 500 agents).
⚖️ Répression et sanctions en renfort
Le cadre légal est pourtant sans ambiguïté. Toute fraude constatée expose l’auteur à 75 000 euros d’amende et jusqu’à 5 ans de prison. Enedis a engagé une politique de « tolérance zéro », en déposant systématiquement des plaintes groupées auprès du procureur de la République. Toutefois, l’entreprise admet que les poursuites ne sont pas systématiquement abouties, ce qui alimente un certain sentiment d’impunité.
Face à l’ampleur du phénomène, Enedis travaille également avec les plateformes numériques pour faire disparaître les contenus incitant à la fraude. Mais Bertrand Boutteau l’avoue : « Nous devons renforcer cette partie de notre action ».
Avec 38 millions de compteurs Linky installés, représentant 95% des foyers, la marge de progression pour les fraudeurs est mince. Mais tant que les contenus incitatifs et les marchés parallèles existeront, le risque restera bien réel.
️ L’œil de l’expert : perte sèche
La fraude à l’énergie n’est pas un simple délit technique : c’est une perte systémique pour l’économie nationale. En rognant sur la juste facturation, elle pénalise les consommateurs honnêtes, met sous pression les distributeurs et fragilise les équilibres budgétaires du secteur énergétique. Dans un contexte d’inflation énergétique et de transition écologique, chaque kilowatt non payé représente une entrave aux investissements nécessaires. Enedis, en renforçant son arsenal humain et juridique, amorce une lutte structurelle indispensable… mais le combat s’annonce long .