Alors que les États-Unis avancent à pas prudents dans un contexte économique globalement instable, la Réserve fédérale (Fed) américaine choisit de garder le cap. Ce mercredi 18 juin, sans surprise, la Fed a maintenu ses taux directeurs inchangés pour la quatrième fois consécutive, à un niveau compris entre 4,25 % et 4,50 %. Une décision stratégique, dictée par une volonté de contenir les tensions inflationnistes… mais qui déclenche la fureur de Donald Trump, désireux d’un soutien monétaire fort à sa politique économique. Derrière ce statu quo se cache une réalité économique plus fragile qu’il n’y paraît, marquée par le ralentissement de la croissance, une inflation persistante et un risque budgétaire croissant.
Une économie sous tension : croissance en berne, inflation en embuscade
Malgré des signaux de ralentissement, la Fed s’obstine à ne pas relâcher la pression monétaire. Dans un communiqué mesuré, l’institution évoque une « incertitude toujours élevée« quant aux perspectives économiques, malgré un léger recul des risques perçus. Cette prudence se reflète dans les prévisions révisées à la baisse : la croissance américaine ne devrait atteindre que 1,4 % en 2025, loin des 2,1 % envisagés encore fin 2024. Parallèlement, l’inflation est attendue en hausse à 3 %, ce qui éloigne encore un peu plus l’objectif de stabilité des prix fixé par la Fed.
La situation de l’emploi ne rassure pas davantage : le taux de chômage devrait grimper à 4,5 %, selon les nouvelles projections de la banque centrale. Ce cocktail de ralentissement et de pressions inflationnistes complique la tâche des responsables monétaires, d’autant que les consommateurs américains commencent à serrer les cordons de la bourse : en mai, les ventes au détail ont chuté de 0,9 %, un indicateur préoccupant pour une économie largement tirée par la consommation.
Face à cette situation, la Fed affiche une posture inflexible. Les membres du comité de politique monétaire envisagent deux baisses de taux en 2025, mais ces intentions restent hypothétiques dans un contexte marqué par la flambée des droits de douane et les tensions au Moyen-Orient. Pour Dan North, économiste chez Allianz Trade North America:
le principal risque reste une remontée brutale des prix si les surtaxes douanières ne sont pas levées.
Trump contre Powell : conflit d’objectifs au sommet de l’État
La décision de la Fed n’est pas passée inaperçue à la Maison-Blanche. Avant même son annonce, Donald Trump a vivement critiqué la politique monétaire actuelle, estimant que « l’inflation n’est pas un problème« et qu’une baisse immédiate d’un point des taux serait nécessaire pour relancer l’activité. Une proposition en rupture totale avec l’approche graduelle adoptée par la Fed, qui ajuste habituellement ses taux par paliers de 0,25 point.
S’exprimant devant la presse, le président américain n’a pas mâché ses mots :
Jerome Powell est un homme politique, et pas un très intelligent. Il coûte une fortune au pays »,
a-t-il lancé dans une attaque directe contre celui qu’il avait pourtant nommé à la tête de la Fed en 2018. Trump accuse ouvertement Powell de politisation de la banque centrale, allant jusqu’à ironiser sur sa propre capacité à en prendre le contrôle :
Peut-être que je devrais aller à la Fed. Est-ce que je suis autorisé à me désigner moi-même ?
Ce bras de fer illustre les tensions croissantes entre les impératifs politiques de la présidence et l’indépendance de la Fed, déterminée à préserver sa crédibilité. En toile de fond, les décisions protectionnistes de l’administration Trump, notamment l’imposition de droits de douane d’au moins 10 % sur la majorité des produits importés, pourraient relancer l’inflation à moyen terme. Pour Dan North, « Trump a raison à court terme : les prix n’ont pas encore grimpé. Mais les effets des taxes mettent du temps à se diffuser dans l’économie. L’inflation va repartir. »
Enfin, les tensions géopolitiques, notamment au Moyen-Orient, viennent noircir encore un peu plus le tableau, en faisant planer une menace sur le cours du pétrole. Jusqu’ici contenue, la modération des prix pourrait voler en éclats si les conflits internationaux venaient à perturber davantage les marchés de l’énergie.
️ L’œil de l’expert : le choix de la prudence
La stabilité monétaire américaine repose désormais sur un fragile équilibre, entre maintien de la crédibilité face à l’inflation, préservation de la croissance et pressions politiques croissantes. La Fed choisit la prudence, au risque d’apparaître déconnectée de la réalité politique immédiate. Mais face à une inflation qui rôde, des tensions commerciales exacerbées et une économie mondiale fragile, le relâchement monétaire que réclame Trump pourrait s’avérer prématuré. Dans cette guerre des nerfs, c’est le consommateur américain – et la trajectoire économique des prochains mois – qui en paiera le prix.