Alors que le carnet de commandes de Boeing explose, un chiffre fait tache : zéro livraison en Chine au mois de mai. Un mois entier sans qu’aucun avion du constructeur américain ne soit remis à un client chinois, malgré un feu vert officiel donné par Pékin. Le contraste est saisissant : d’un côté, des ventes historiques à l’international, de l’autre, l’immobilisme sur l’un de ses marchés stratégiques. Cette anomalie met en lumière les tensions géopolitiques persistantes, mais aussi la lenteur des rouages administratifs chinois dans un contexte post-sanctions.
“Les procédures prennent un peu de temps”, confiait à l’AFP une source proche du dossier à la mi-mai, après que les autorités chinoises ont levé, temporairement, leur interdiction faite aux compagnies aériennes nationales d’acheter des avions Boeing — mesure punitive dans un contexte de guerre commerciale avec Washington. Mais un mois plus tard, le silence est assourdissant : aucun appareil américain n’a décollé vers la Chine sous forme de livraison.
La Chine en pause pour Boeing
Malgré l’annonce d’une suspension des surtaxes douanières entre les États-Unis et la Chine pour 90 jours, l’activité reste gelée sur le front des livraisons. Cette inertie s’explique autant par la prudence politique que par la lourdeur bureaucratique chinoise. Le marché chinois, pourtant crucial pour Boeing, reste inactif, une situation qui souligne la fragilité des relations commerciales entre les deux superpuissances.
La décision de Pékin en avril de bloquer temporairement les transactions avec Boeing faisait suite à des tensions renouvelées avec les États-Unis, déclenchant un gel brutal dans un secteur hautement stratégique. Aujourd’hui, même après la levée des restrictions, le redémarrage tarde. Et dans un contexte où chaque livraison compte pour redorer l’image d’un constructeur fragilisé par ses scandales techniques récents, ce manque de mouvement est lourd de sens.
Loïc Cantin, président de la Fnaim, y verrait un parallèle avec les situations d’attentisme observées sur les marchés immobiliers :
Quand la visibilité est absente, les projets sont différés, quel que soit le secteur.
Une santé commerciale retrouvée… mais inégale
Paradoxalement, sur les autres marchés, Boeing affiche une performance commerciale impressionnante. En mai, l’avionneur a livré 45 appareils, contre 24 à la même période en 2024. Le 737 MAX reste la star du catalogue, avec 31 unités livrées sur le mois. À cela s’ajoutent sept 787 Dreamliner, cinq 777 cargo et un 767 fret, signe d’une reprise solide de l’activité hors Chine.
Depuis le début de l’année, 220 avions ont été remis à leurs clients, contre seulement 131 sur les cinq premiers mois de l’année précédente. Côté commandes, le chiffre donne le vertige : 303 avions commandés en mai, dont 146 pour des 737 MAX et 127 pour des 787. Le point culminant de ce succès : la méga-commande de Qatar Airways, qui a acheté 210 gros porteurs pour un montant estimé à 96 milliards de dollars, selon Boeing. Il s’agit de la plus importante commande mensuelle depuis décembre 2023.
Le carnet de commandes total atteignait fin mai 6.537 avions, confirmant une dynamique retrouvée. Mais cette embellie est assombrie par l’absence de redémarrage sur le marché chinois, historiquement l’un des plus prometteurs pour Boeing, notamment face à son rival Airbus, mieux implanté en Asie ces derniers mois.
L’œil de l’expert : Boeing avance… mais unilatéralement
Boeing court, mais sur une seule jambe. D’un côté, l’entreprise regagne du terrain à l’échelle mondiale, boostée par des commandes massives et une cadence de livraison soutenue. De l’autre, elle reste à l’arrêt sur un marché clé, handicapée par la géopolitique et les lourdeurs réglementaires. Ce déséquilibre pourrait, à terme, affaiblir sa compétitivité face à Airbus, dont les relations avec la Chine sont plus fluides. Sans un retour rapide à la normale sur le marché asiatique, le plein redécollage de Boeing restera incomplet. Les prochains mois seront décisifs : la Chine laissera-t-elle enfin Boeing reprendre son envol, ou préférera-t-elle prolonger l’incertitude, au risque d’entériner une fracture commerciale durable ?