La disparition imminente du site de recherche d’emploi Monster en Europe marque la fin d’un symbole de la digitalisation du marché du travail. Plus qu’un simple effondrement commercial, c’est un naufrage social et financier qui se dessine pour la filiale française. Derrière l’arrêt brutal de l’activité se cache une opération de désengagement actionnarial qui interroge, voire choque, sur le plan éthique comme économique.
Alors que Monster s’apprête à liquider ses activités sur le Vieux Continent, les 30 salariés français se retrouvent abandonnés, privés d’indemnités, de solutions de reclassement et de toute prise en charge digne de ce nom.
« Randstad se présente comme simple actionnaire minoritaire pour se délester du soutien financier et humain », alerte Guillaume Cardinet, représentant du personnel.
📉 Faillite programmée et fin d’un modèle
La débâcle de Monster France s’inscrit dans un contexte plus large : celui d’un marché du recrutement en mutation accélérée, dominé par les plateformes intégrées, les algorithmes et les outils d’intelligence artificielle. À l’été 2025, le groupe annonce sa cessation de paiement, après l’échec d’une joint-venture avec CareerBuilder et le retrait de ses deux actionnaires : Randstad (49 %) et Apollo Global Management (51 %).
Si aux États-Unis, un semblant de solution a été trouvé – Bold, fondée par deux anciens de Monster, reprendra l’activité locale pour 30 millions de dollars – aucune reprise n’est envisagée pour l’Europe.
En France, la fermeture est imminente
confirme Guillaume Cardinet.
Conséquence directe : plus de 200 emplois supprimés à l’échelle européenne, et une liquidation sans filet de sécurité pour les salariés français. Cela malgré l’existence d’un accord d’entreprise signé avec Randstad en 2022, garantissant jusqu’en 2027 des mesures d’accompagnement pour les licenciements économiques (mobilité, reconversion, portage mutuelle, dispositifs seniors…).
💸 Engagements sociaux remis en question
Mais ce cadre protecteur a volé en éclats. Les représentants du personnel dénoncent un désengagement volontaire des actionnaires, et en particulier de Randstad, désormais minoritaire mais historiquement impliqué dans la gouvernance. Depuis le rachat intégral de Monster en 2016, jusqu’à la cession partielle en 2024, le groupe néerlandais aurait construit un schéma de sortie lui permettant d’échapper à toute responsabilité sociale, selon le CSE de Monster France.
Résultat ?
Pas de reclassement en interne,
Pas d’indemnités supra-légales versées,
Et pas de soutien spécifique pour les salariés les plus vulnérables (seniors, personnes en situation de handicap…).
Pire : l’AGS (régime public de garantie des salaires) devra prendre le relais pour honorer les salaires et indemnités, tandis que France Travail assurera, seul, le suivi de réinsertion.
Ce sont les finances publiques qui vont payer les conséquences d’un désengagement privé
dénonce une nouvelle fois Guillaume Cardinet.
Face à ce qu’ils considèrent comme une trahison, les représentants du personnel ont écrit à Sander van’t Noordende, PDG de Randstad, pour exiger le respect des accords signés. Mais la réponse fut sans équivoque : Randstad décline toute responsabilité, se retranchant derrière son statut d’actionnaire minoritaire.
👁 L’œil de l’expert : une faillite qui pose question
Au-delà du cas Monster, cette situation reflète un mal profond : la financiarisation à outrance de l’économie numérique, où les stratégies de désengagement actionnarial prennent le pas sur la continuité sociale. En réduisant leur implication à des parts capitalistiques, les groupes comme Apollo ou Randstad peuvent plus facilement « éteindre » des entreprises sans en assumer les conséquences humaines.
Pour les pouvoirs publics comme pour les instances de régulation du travail, l’affaire Monster pourrait bien faire jurisprudence. Car demain, d’autres géants numériques fragilisés par la concurrence de l’IA ou la pression sur les marges pourraient suivre le même chemin… en laissant, une fois encore, l’État régler la note.