La potentielle cession de SFR prend une tournure décisive. Derrière l’écran d’un redressement financier, c’est toute l’architecture du marché français des télécoms qui pourrait basculer. Endetté jusqu’au cou, le groupe Altice France cherche à alléger son fardeau, quitte à céder sa pépite tricolore. Analyse d’un dossier explosif où enjeux économiques, logiques industrielles et perspectives de consolidation s’entremêlent.
💶 La dette comme moteur de la recomposition
Avec une dette abyssale de 24 milliards d’euros pour sa branche française, Altice se retrouve dos au mur. Début juin, l’entreprise a été placée sous le régime de la procédure de sauvegarde accélérée, un mécanisme destiné à aider les groupes en difficulté à restructurer leur dette tout en poursuivant leur activité.
Selon une source proche du dossier citée par BFM Business, cette opération fait suite à une phase de conciliation réussie avec les créanciers :
L’accord a obtenu un taux d’acceptation supérieur à 90 %, ce qui a permis de passer à la phase finale de restructuration.
Le tribunal de commerce de Paris a validé début août un plan visant à ramener la dette d’Altice France de 24 à 15 milliards d’euros. Mais ce plan suscite de vives inquiétudes syndicales. L’UNSA, syndicat majoritaire, craint une vente à la découpe de SFR, estimant que les salariés « n’ont pas à supporter les dérives financières du groupe de Patrick Drahi ». L’organisation a d’ailleurs annoncé faire appel de la décision.
Pourtant, Arthur Dreyfuss, président d’Altice France, a précisé devant le tribunal :
Il n’y a aucun processus de vente en cours, ni même d’offre indicative à ce stade.
Mais les faits contredisent les discours.
🏦 Deal : plus de 50 % de SFR dans la balance
Si officiellement aucune transaction n’est lancée, les intentions réelles transpirent à travers les mouvements d’actifs. D’après Bloomberg, Altice chercherait à céder plus de 50 % du capital de SFR, dont il détient actuellement 55 %, dans le cadre d’une stratégie de désendettement global (la dette du groupe Altice au niveau mondial dépasse les 60 milliards d’euros).
Une telle opération permettrait de valoriser SFR à environ 30 milliards d’euros, dette comprise, et surtout, de se délester d’une part significative d’un actif stratégique tout en engrangeant des liquidités.
Dans cette optique, des actifs non stratégiques ont déjà été vendus, comme Infracos, gestionnaire d’antennes relais, pour un produit brut de 480 millions d’euros. Par ailleurs, Altice envisage également la cession de sa participation dans XpFibre, sa filiale dédiée aux infrastructures fibre optique.
Un porte-parole du groupe confirme cette stratégie de repli ciblé :
Altice se concentre sur la mise en œuvre de l’accord de dette, la vente d’actifs non stratégiques et la relance commerciale de SFR.
🤝 Repreneurs potentiels : une guerre entre géants
Avec SFR sur le marché, la consolidation du secteur français des télécoms est relancée, et plusieurs acteurs se positionnent déjà pour s’emparer de ce poids lourd.
Bouygues Telecom et iliad (Free) sont en embuscade. Chacun y voit l’opportunité de revenir à un marché à trois opérateurs et surtout de contester la suprématie d’Orange. Ce dernier ne ferme pas non plus la porte :
La ligne rouge serait de perdre notre leadership
a déclaré Jacques Aschenbroich, président du conseil d’administration d’Orange sur le plateau de BFM Business.
À l’international, l’émirati Emirates Telecommunications Group et plusieurs fonds d’investissement scrutent également l’opportunité, certains étant intéressés par des rachats partiels, ce qui pourrait rouvrir le scénario d’une vente par actifs, fragmentée selon les lignes métiers ou les territoires.
Bouygues semble déjà accélérer ses pions, avec le rachat récent de La Poste Mobile, premier MVNO français. Une manière de préempter le terrain en cas de fusion ou absorption plus large.
Mais tout reste suspendu à la restructuration financière d’Altice, sans laquelle aucun deal ne sera juridiquement et financièrement viable. Et surtout, les autorités de la concurrence auront le dernier mot dans ce jeu de recomposition stratégique.
👁 L’œil de l’expert : une logique de survie
Pour Dominique Régnault, analyste en stratégie industrielle :
La situation actuelle d’Altice illustre les limites d’un modèle hyper-endetté fondé sur la croissance par acquisitions à crédit. En vendant SFR, le groupe sacrifie l’un de ses rares leviers opérationnels rentables. Derrière la restructuration, c’est une logique de survie.
Ce possible désengagement de Patrick Drahi signe une rupture dans l’histoire de SFR, autrefois au cœur de l’ambition industrielle française dans les télécoms. L’arrivée de nouveaux acteurs – français ou étrangers – pourrait redessiner durablement le paysage des communications en France, tout en relançant le débat sur la souveraineté numérique nationale.