L’entreprise Carmat, pionnière mondialement reconnue du cœur artificiel, vient d’échapper de peu à la liquidation. Dans un contexte où l’innovation biomédicale exige des investissements massifs et une capacité de production difficilement rentable, la biotech française s’accroche à un nouveau départ — mais au prix d’un choc économique et social profond. L’unique offre déposée, portée par le président du conseil d’administration Pierre Bastid, ouvre une nouvelle phase stratégique, tout en mettant en lumière les fragilités de son modèle économique.
💥 L’opération de la dernière chance
Le tribunal des affaires économiques de Versailles a validé l’unique proposition de reprise déposée par Pierre Bastid, président du conseil d’administration et actionnaire à 17 %. Ce dernier, associé à la famille Ligresti via Santé Holding, rachète les actifs pour relancer l’activité sous une nouvelle entité : Carmat SAS.
Cette décision entraîne néanmoins une restructuration lourde : 39 licenciements économiques, pour ne conserver que 88 salariés sur les 127 initiaux. Le tribunal l’a confirmé dans son jugement, actant un redémarrage « concentré » afin d’éviter la liquidation pure et simple.
Cette reprise est la conséquence d’une lente et profonde détérioration financière. Placée en redressement judiciaire le 1er juillet 2025, Carmat n’a survécu que grâce à un appel d’air d’urgence, après avoir averti en juin qu’il lui manquait 3,5 millions d’euros pour éviter la cessation de paiements. Dans la foulée, le titre s’effondre en Bourse, suspendu après une chute de 65 %.
La séquence révèle une descente aux enfers alimentée par une perte de confiance des investisseurs. Pierre Bastid lui-même déclarait récemment : « Carmat n’a besoin de produire que 500 pièces pour atteindre la rentabilité », une manière de rappeler que le marché existe — mais que l’équation industrielle, elle, reste périlleuse.
💸 Un modèle économique sous tension
Carmat a brûlé 550 millions d’euros depuis 2011, tout en accumulant 50 millions de dettes, notamment auprès de la Banque européenne d’investissement. Ce gouffre financier, conjugué aux problèmes techniques et industriels, a asséché la confiance d’investisseurs lassés d’attendre la rentabilité. Le cœur artificiel Carmat souffre d’un paradoxe : il est ultra-innovant, mais trop cher à produire, et encore inadapté aux femmes et aux enfants, réduisant le potentiel de marché.
Cette réalité a conduit Nicolas Dufourcq, patron de Bpifrance, à déclarer sur BFM TV : « Carmat, on n’y a jamais cru », comparant la biotech au « Concorde de la prothèse cardiaque » — brillante sur le plan technologique, mais financièrement insoutenable si la production ne passe pas à l’échelle.
Pourtant, le besoin médical est immense. Comme le rappelle Pierre Bastid, interviewé cet été par le journal La Tribune« 200 000 personnes meurent chaque année d’insuffisance cardiaque en Europe et en Amérique du Nord ». Le manque de greffons humains crée un potentiel que Carmat espère capter.
Aujourd’hui, 122 transplantations ont été réalisées avec la prothèse, 19 patients en sont actuellement porteurs. Chaque implant coûte 200 000 €, avec une prise en charge variable selon les pays. La tension économique est donc manifeste : pour devenir viable, Carmat doit maîtriser ses coûts alors que chaque unité reste hors de prix — un défi majeur dans un secteur où la R&D est structurellement lourde.
👁 L’œil de l’expert
La reprise de Carmat n’est pas une victoire, mais une suspension temporaire du jugement. L’entreprise entre dans une phase où chaque euro investi devra prouver sa valeur.
Le potentiel médical est indiscutable, les besoins immenses, et la technologie unique. Mais le défi n’est plus scientifique : il est industriel, financier et stratégique. Réduire les coûts, sécuriser les financements privés et convaincre à nouveau les investisseurs seront les conditions indispensables pour éviter que Carmat ne devienne l’énième pépite française sacrifiée sur l’autel de la rentabilité.
Carmat SAS démarre une nouvelle vie. Reste à prouver qu’une innovation révolutionnaire peut, enfin, trouver son modèle économique durable.





