La France accélère discrètement sa transition vers une société presque sans argent liquide. En 2024, plus de 1.500 distributeurs automatiques de billets (DAB) ont été supprimés, soit une baisse continue qui inquiète autant qu’elle reflète une évolution profonde des usages. Ce bouleversement, essentiellement économique, redessine la cartographie de l’accès aux espèces sur le territoire. Entre coûts bancaires, transition technologique et intervention des collectivités, le modèle du cash est à la croisée des chemins.
🚨 Le modèle économique des DAB en crise
Le Comité national des moyens de paiements (CNMP) tire la sonnette d’alarme : près de 20 % des DAB ont disparu en six ans. Un effacement progressif, mais massif, du réseau qui laisse aujourd’hui un peu plus de 42.000 automates actifs sur le territoire. Cette raréfaction frappe surtout les zones rurales et certains quartiers urbains isolés.
Derrière cette tendance, une logique économique : la maintenance et le réapprovisionnement des distributeurs représentent une charge financière lourde pour les établissements bancaires. L’évolution des usages vient renforcer cette dynamique. Le paiement sans contact, devenu omniprésent, a fait fondre la fréquence des retraits en espèces.
L’accessibilité aux espèces reste à un très haut niveau
tempère Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF). Mais cette vision nationale masque une réalité plus contrastée sur le terrain.
Face au recul des banques, de nouveaux acteurs émergent : les convoyeurs de fonds, comme Loomis, Brink’s ou Euronet, exploitent désormais près de 1.000 DAB, alors qu’ils étaient totalement absents du marché en 2018. Cette externalisation traduit un repositionnement stratégique de la chaîne de distribution monétaire en France.
🏦 Les alternatives bancaires restent fragiles
Dans de nombreuses zones rurales, les maires doivent prendre le relais. Faute de DAB, certaines collectivités locales investissent elles-mêmes pour maintenir un point de retrait. C’est le cas à Argenteuil, où la mairie a installé son propre distributeur :
Une fois de plus, les communes sont amenées à suppléer soit les carences de l’État, soit ici la fermeture d’agences privées
déplore Xavier Péricat, premier adjoint de la commune. Le dernier DAB installé enregistrait plus de 120 retraits par jour, preuve que la demande d’espèces reste bien réelle.
Une autre piste explorée est le cashback, déjà répandu au Royaume-Uni. Ce dispositif permet d’obtenir du liquide en réglant ses achats par carte en magasin. Pourtant, sa portée reste limitée : réservé aux clients d’une seule banque, contraint aux horaires du commerçant et tributaire de la disponibilité du fond de caisse. Ce n’est en rien un substitut robuste aux automates bancaires.
👁️ L’œil de l’expert : vers une fracture
L’évolution du modèle bancaire vers le tout-numérique, bien qu’efficace sur le plan financier, engendre une inégalité croissante d’accès aux espèces. Dans un pays où 13 % des Français préfèrent encore le liquide comme moyen de paiement principal, selon l’INSEE, cette transition pourrait accentuer la marginalisation de certaines populations : personnes âgées, précaires, non bancarisées.
La disparition des DAB n’est pas qu’un fait logistique, c’est un révélateur de fractures territoriales et sociales
analyse Julien Lasalle, économiste à la Banque de France. Le sujet dépasse la simple gestion des espèces : il touche à la souveraineté monétaire locale, à l‘équité sur l’ensemble du territoire, et à l’inclusion financière. Sans stratégie coordonnée, la France risque de basculer vers une double économie, où l’argent liquide devient un luxe d’urbain… ou un problème de rural.