Le changement climatique n’enflamme pas que les forêts : il menace aussi sérieusement l’équilibre économique du secteur assurantiel. Alors que les incendies deviennent plus fréquents et plus destructeurs, leur coût s’envole, grevant les bilans des assureurs. Mais contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas nécessairement les vastes feux de forêt qui pèsent le plus lourd dans la balance financière. En France comme à l’international, la multiplication des sinistres liés aux feux révèle une nouvelle réalité économique du risque climatique.
🔥 Le coût des incendies s’accélère
L’impact des incendies sur les finances des compagnies d’assurance a pris une ampleur inédite. En S1 2025, les sinistres liés aux feux ont coûté 80 milliards de dollars (soit près de 69 milliards d’euros) à l’échelle mondiale, selon le réassureur Swiss Re, contre 62 milliards en S1 2024. La moitié de cette somme provient à elle seule des incendies dévastateurs survenus à Los Angeles, où des zones fortement urbanisées et fortement assurées ont été totalement ravagées.
En France, la dynamique est similaire. D’après France Assureurs, le montant des indemnisations liées aux incendies a progressé de 47 % en deux décennies. Une évolution qui s’explique autant par la fréquence croissante des sinistres que par leur coût unitaire.
Le réchauffement climatique provoque des sécheresses intenses qui augmentent considérablement le risque d’embrasement
rappelle Olivier Moustacakis, cofondateur du comparateur Assurland.
Mais le paradoxe est frappant : les incendies les plus médiatisés ne sont pas toujours les plus coûteux. En réalité, ce sont les habitations détruites – et non les hectares de forêt – qui alourdissent la facture. Lors des feux de Marseille en juillet, une trentaine de maisons ont été réduites en cendres. Si les estimations chiffrées d’indemnisation sont encore attendues, la facture pourrait être particulièrement salée, surtout dans les zones résidentielles denses et bien assurées.
🌲 Un patrimoine forestier non assuré
En France, près de 80 % des forêts appartiennent à des particuliers… et sont généralement non assurées, ce qui limite l’impact financier des grands incendies pour les compagnies. Un feu de 15 000 hectares dans l’Aude peut ainsi faire les gros titres sans nécessairement déclencher de lourdes indemnisations.
Lors des mégafeux dans les Landes en 2022, la facture pour les assureurs a été contenue car la plupart des surfaces brûlées n’étaient pas couverte
explique encore Moustacakis. Ce sont donc les zones urbanisées, avec des biens mobiliers de forte valeur, qui font exploser les coûts. D’autant que le respect des obligations légales conditionne souvent l’indemnisation : les assureurs peuvent légalement réduire, voire refuser, une compensation si les propriétaires n’ont pas débroussaillé le périmètre réglementaire autour de leur logement. Ce fut notamment le cas dans plusieurs communes du sud, où les mesures de prévention avaient été négligées.
Ce désalignement entre l’exposition réelle aux risques et la couverture assurantielle questionne le modèle économique des assureurs. La montée en puissance des catastrophes naturelles ne s’accompagne pas systématiquement d’une montée en charge des cotisations – un déséquilibre structurel qui pourrait à terme remettre en question la soutenabilité du système assurantiel classique.
👁️ L’œil de l’expert : un modèle à réinventer ?
L’assurance climatique entre dans une zone de turbulences. Si les catastrophes naturelles deviennent plus fréquentes, leur impact financier dépend de plus en plus de l’urbanisation et de la valeur des actifs exposés. Or, le décalage entre les risques assurés et non assurés crée une vulnérabilité nouvelle pour le système économique.
Pour les assureurs, l’enjeu n’est pas seulement d’ajuster les primes, mais de réfléchir à des modèles prévisionnels plus dynamiques, intégrant la donnée climatique, le comportement des assurés, et la réglementation locale. Le recours à la réassurance, à la prévention et à la mutualisation devra s’intensifier.
Et pour les assurés ? L’heure est à la vigilance : bien assurer, respecter les obligations légales, et adapter son patrimoine à un monde plus instable devient une question de survie économique face à un climat de plus en plus extrême