La fin du modèle familial à la française ? Longtemps perçue comme un bastion de la fécondité en Europe, la France traverse une transformation silencieuse mais radicale de son rapport à la parentalité. En 2024, l’image traditionnelle de la famille nombreuse s’efface peu à peu au profit d’unités plus restreintes, portées par de nouvelles priorités économiques, sociales et environnementales. D’après une étude majeure publiée par l’Institut national d’études démographiques (Ined), les Français aspirent à des familles plus petites — un basculement aux conséquences lourdes pour la pérennité de notre modèle socio-économique.
↘️ Une norme familiale en déclin
Selon les données révélées dans la revue Population et Sociétés, le nombre d’enfants jugé « idéal » par les Français est passé de 2,7 en 1998 à seulement 2,3 en 2024. L’enquête Erfi 2, menée auprès de 12 800 personnes âgées de 18 à 79 ans, met en lumière une chute significative du désir d’enfant dans toutes les strates sociales. En 2024, 65 % des Français considèrent que deux enfants représentent la composition familiale idéale — un chiffre en forte hausse par rapport à 1998 (47 %), au détriment des familles nombreuses, désormais idéalisées par seulement 29 % de la population contre 50 % il y a vingt-cinq ans.
Milan Bouchet-Valat, sociologue à l’Ined et co-auteur de l’étude, observe :
La famille à deux enfants devient perçue comme un plafond, non plus comme un plancher.
Une norme discrètement mais puissamment redessinée par des facteurs économiques, sociétaux, mais aussi par les représentations de genre. L’enquête montre en effet que les individus prônant une égalité stricte entre les sexes dans le couple souhaitent moins d’enfants, contrairement aux profils plus traditionnels, moins conscients de l’impact parental sur leur trajectoire professionnelle.
⛈ Un déclin aux lourdes retombées économiques
Au-delà du changement sociologique, la baisse du désir d’enfant agit comme un catalyseur de déséquilibres économiques majeurs. La France, qui enregistrait encore deux enfants par femme en 2014, affiche désormais une fécondité de seulement 1,6 en 2024. Or, selon les règles démographiques établies, il faut au moins 2,1 enfants par femme pour assurer le renouvellement des générations — sans compter l’apport des migrations.
En 2024, seulement 663 000 naissances ont été recensées : un niveau historiquement bas depuis 1945. La chute de 7 % en 2023, suivie de -2 % en 2024, confirme une tendance durable. Cela compromet à terme l’équilibre de notre système de retraites, basé sur la solidarité intergénérationnelle, et alourdit la pression sur les actifs pour financer la protection sociale.
De manière inquiétante, même les jeunes générations montrent des intentions de parentalité en forte baisse. Les moins de 30 ans n’envisagent plus que 1,9 à 2 enfants. Autre signal d’alarme : l’écart croissant entre enfants désirés et enfants réellement mis au monde. Les femmes nées en 1980 espéraient 2,5 enfants en 2005… elles n’en ont eu que 2,1.
L’œil de l’expert : une nouvelle société
Ce recul de la fécondité ne peut plus être interprété comme un simple caprice générationnel ou une inflexion conjoncturelle. Il traduit une recomposition profonde du rapport au temps, au travail, à l’équilibre personnel. Les politiques familiales devront donc impérativement se réinventer, non pas pour inciter mécaniquement à « faire des enfants« , mais pour lever les freins économiques, sociaux et psychologiques à la parentalité.
La clé ne réside plus uniquement dans les aides financières, mais dans une meilleure répartition des responsabilités parentales, une plus grande flexibilité du travail, et une politique du logement adaptée aux jeunes ménages. Autrement, c’est l’architecture même de notre contrat social qui pourrait vaciller dans les décennies à venir.