Coup de théâtre dans le prêt-à-porter français : le Groupe Beaumanoir (Cache Cache, Bonobo, Sarenza…) vient d’acter une reprise partielle de Naf Naf, enseigne emblématique du vestiaire féminin des années 90. Cette opération, qui suit la mise en redressement judiciaire de la marque en mai 2025, ne sauve qu’une partie des meubles : seuls 300 des 588 salariés et 12 magasins sur 102 sont repris… et encore, pour être intégrés sous d’autres enseignes du groupe. Une restructuration qui en dit long sur la stratégie économique du repreneur, mais aussi sur l’échec d’une marque fragilisée par des années de gestion instable.
🔍 Une opération plus stratégique que solidaire
Derrière le rachat partiel annoncé ce jeudi, Beaumanoir joue une partition de consolidation territoriale, bien plus qu’un sauvetage industriel. Le groupe n’a pas vocation à relancer Naf Naf en tant que marque autonome : les 12 points de vente repris ont été sélectionnés pour leur emplacement stratégique, avec l’objectif affiché de renforcer le maillage physique des enseignes existantes du groupe.
L’offre inclut également la reprise de 48 collaborateurs rattachés à ces magasins et près de 250 offres de reclassement supplémentaires au sein de ses différentes enseignes
a précisé Beaumanoir dans son communiqué. En d’autres termes, l’actif “marque” Naf Naf semble relégué au second plan, tandis que l’opération permet une optimisation de réseau à faible coût, sans engagement réel sur le plan créatif ou commercial.
D’un point de vue économique, l’enjeu est double :
Limiter les risques sociaux en intégrant une partie des effectifs via des reclassements internes, tout en s’épargnant les coûts d’une relance de marque dépréciée ;
Accroître rapidement la surface de vente en reprenant des emplacements déjà connus et fréquentés, au service de marques en croissance.
Une stratégie déjà amorcée en juin avec la reprise partielle de Jennyfer, autre marque de prêt-à-porter féminine, dans une logique d’intégration verticale rapide.
Mais cette approche, si cohérente soit-elle pour Beaumanoir, sonne comme un coup d’arrêt définitif pour Naf Naf, dont l’identité commerciale semble diluée dans une logique d’optimisation purement logistique.
🧵 L’œil de l’expert : l’instabilité tueuse
Le cas Naf Naf est symptomatique d’un mal récurrent dans la mode accessible : une perte d’identité liée à la valse des repreneurs, conjuguée à une dégradation de l’offre. Après un redressement judiciaire en 2023, la marque avait été reprise par un acteur turc en 2024, sauvant alors 521 postes et une centaine de boutiques. Mais les promesses de relance ont rapidement cédé le pas à de nouvelles difficultés opérationnelles.
Depuis cinq ans, on a enchaîné les changements de propriétaire. Les prix ont augmenté, la qualité a baissé
déplore une salariée. Une autre ajoute :
Certaines clientes ne reconnaissent plus la marque. On entend ça depuis 3, 4 ans. La marque a dégringolé.
Derrière ces témoignages, une réalité brute : le capital marque s’est érodé, la confiance s’est envolée, et les erreurs stratégiques successives ont tué la désirabilité du label. Résultat : même un groupe aussi structuré que Beaumanoir ne voit plus d’intérêt à relancer Naf Naf en tant que telle.
La leçon ? Dans l’industrie textile, la pérennité passe autant par la stabilité managériale que par la cohérence d’offre. Naf Naf paie aujourd’hui le prix de cinq années d’errance, et son avenir ne tient plus qu’à quelques lettres dans les archives du commerce de centre-ville.